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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles
Autoren: Maurice Druon
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prouver
qu’elle avait encore envie de vivre. Elle demeura un moment immobile, retenant
son souffle. Derrière elle le grattement continuait. Prudemment, elle tourna la
tête. C’était le sénéchal de Joinville qui somnolait dans un siège à haut
dossier, en attendant le départ.
     

II

UN CARDINAL QUI NE CROYAIT PAS À L’ENFER
    La nuit de juin commençait à pâlir,
déjà, du côté de l’est, une mince frange grise au pied du ciel annonçait
l’aurore qui allait bientôt se lever sur la cité de Lyon.
    C’était l’heure où les charrois se
mettaient en marche dans les campagnes avoisinantes pour porter vers la ville
les légumes et les fruits, l’heure où les chouettes se taisaient et où les
passereaux ne chantaient pas encore. C’était aussi l’heure où, derrière les
étroites fenêtres d’un des appartements d’honneur de l’abbaye d’Ainay, le
cardinal Jacques Duèze songeait à la mort.
    Le cardinal n’avait jamais eu grand
besoin de dormir, mais avec l’âge ce besoin ne cessait de s’amenuiser. Trois
heures de sommeil lui suffisaient amplement. Peu après minuit, il se levait et
s’installait devant son écritoire. Homme d’intelligence rapide et de savoir
prodigieux, rompu à toutes les disciplines de la pensée, il avait composé des
traités de théologie, de droit, de médecine et d’alchimie qui faisaient
autorité parmi les clercs et docteurs de son temps.
    En cette époque où la grande
espérance du pauvre comme celle du prince était la fabrication de l’or, on se
référait beaucoup aux doctrines de Duèze sur les élixirs destinés à la
transmutation des métaux.
    Ainsi pouvait-on lire dans son
ouvrage intitulé L’Élixir des Philosophes de telles définitions qui
donnaient à méditer :
    « Les choses dont on peut faire
élixir sont trois : les sept métaux, les sept esprits, et les autres
choses. Les sept métaux sont soleil, lune, cuivre, étain, plomb, fer et
vif-argent, les sept esprits sont argent vif, soufre, sel ammoniac, orpiment,
tutie, magnésie, marcassite ; et les autres choses sont vif-argent, sang
d’homme, sang de cheveux et d’urine et l’urine est de l’homme,…».
    Ou encore de simples recettes, comme
celle pour « épurger » l’urine d’enfant. « Prends-la et mets-la
en pot et la laisse reposer trois jours ou quatre, puis la coule légèrement,
laisse encore reposer tant que l’ordure soit au fond. Et la cuis bien et
l’écume tant qu’elle devienne de la tierce partie, puis la distille par feutre
et la garde en un pot bien étoupé, pour la corruption de l’air. »
    À soixante-douze ans, le cardinal
découvrait encore des domaines profanes ou sacrés dans lesquels il ne s’était
pas exprimé, et il complétait son œuvre pendant que ses semblables dormaient.
Il usait à lui seul autant de cierges que toute une communauté de moines.
    Au long de ses nuits, il travaillait
aussi à l’énorme correspondance qu’il entretenait avec nombre de prélats,
d’abbés, de juristes, de savants, de chanceliers et de princes souverains à
travers l’Europe. Son secrétaire et ses copistes trouvaient au matin leur
labeur préparé pour la journée entière.
    Également, il se penchait souvent
sur les cartes astrologiques de ses rivaux à la tiare, les comparait à son ciel
personnel, et interrogeait les planètes afin de savoir qui deviendrait pape.
D’après ses calculs, ses plus fortes chances personnelles se plaçaient entre le
début d’août et le début de septembre de l’année présente. Or, on était déjà le
10 juin, et rien ne semblait se dessiner.
    Puis venait le moment pénible
d’avant l’aube. Comme habité du pressentiment que ce serait à cette heure-là
qu’il lui faudrait un jour quitter le monde, le cardinal éprouvait alors une
angoisse diffuse, un vague malaise tant du corps que de l’esprit. La fatigue
aidant, il s’interrogeait sur ses actes accomplis. Ses souvenirs lui
présentaient le développement d’une extraordinaire destinée… Issu d’une famille
bourgeoise de Cahors, et ayant embrassé l’état ecclésiastique, il semblait à
quarante-quatre ans, devenu archiprêtre, au sommet de la carrière à laquelle il
pouvait raisonnablement prétendre. Or sa fortune n’avait pas encore débuté.
L’occasion s’étant offerte de partir pour Naples, en compagnie d’un de ses
oncles qui allait y faire commerce, le voyage, le dépaysement, la découverte de
l’Italie, avaient agi sur lui
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