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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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dévoré par un chien… mis en pièces, émasculé. Et avec toi, ceux qui ont cherché noise à Ornan. Ce gros ivrogne de Coquenpot, ces chiffes molles de patarins, les serfs qui continuent à salir sa mémoire. Je veux qu’ils paient, tous, et c’est pour cette raison que je vais déclencher une avalanche qui les balayera, ravinant les pentes de la montagne, couchant les arbres, ensevelissant les villages de la vallée. Ils périront, écrasés par la neige. Ce n’est qu’à ce prix qu’Ornan sera vengé, que j’aurai accompli mon devoir de faide 2 .
     
    La colère l’a échauffé ; à présent sa respiration rappelle les halètements du dogue.
    — Bon, assez perdu de temps, conclut-il. Je suis venu chercher la flûte. Ensuite, je monterai au pic de Mauperthuis. Une fois là-haut, je jouerai la musique qui réveille les avalanches, car le prodige ne fonctionne qu’en cet endroit précis, sans doute à cause de la résonance particulière de l’écho. Une morsure de loup m’a abîmé la main droite, et j’ai éprouvé quelque difficulté à récupérer l’usage de mes doigts, mais c’est du passé maintenant. Rien ne s’oppose plus à la réalisation de mon projet. Je te laisse ici en compagnie du chien. Tu auras le choix de ta mort. Soit tu décides de périr virilement, en l’affrontant ; soit tu restes tapi dans ta cachette, à attendre que la neige t’ensevelisse. À ta place, j’essayerais d’affronter le molosse, mais moi je suis un guerrier, pas un pleutre. Toutefois, je préfère honnêtement t’avertir que tu auras peu de chances de triompher. J’ai dressé ce dogue au combat ; il est rapide comme l’éclair. Il restera là, planté devant cette porte, et rien ne pourra l’en faire bouger. Je te laisse en sa compagnie, j’ai à faire.
    Wallah l’entend s’éloigner. Jehan est pétrifié.
    — Combien de temps lui faudra-t-il pour escalader le pic de Mauperthuis ? demande la jeune fille.
    — Je ne sais pas… Deux heures ? Ce n’est pas loin, mais avec la neige…
    De la pointe de son couteau, Wallah grave deux incisions sur le cierge. Gunar lui a appris à mesurer le temps à la façon des moines, en fonction du diamètre des chandelles. Elle juge que son estimation n’est point trop fantaisiste.
    Elle réfléchit.
    — Écoute, murmure-t-elle, si on arrive à sortir, je récupérerai mes flèches et je le tuerai. Mais il faut s’y mettre sans tarder.
    — Absurde ! grogne Jehan. Tu veux qu’on affronte le chien ? Il va nous déchiqueter. Et maintenant qu’il nous sait là, lancer une fumigation ne servira à rien.
    — J’ai une idée, souffle la jeune fille. J’ignore ce qu’elle vaut, mais on doit tenter le coup. Il faut d’abord allumer un feu dans la cheminée et réchauffer la pièce. Si les dieux sont de notre côté, le bouchon de glace qui obstrue le conduit fondra, alors la fumée s’échappera normalement.
    — Quel intérêt puisque l’avalanche va nous balayer ?
    — Laisse-moi parler ! La chambre est petite, la chaleur s’élèvera vite. Elle dégèlera les morts.
    — Quoi ?
    — Quand ils seront redevenus souples, nous les habillerons avec nos vêtements, de manière que notre odeur soit sur eux, tu comprends ? Les chiens se fient à leur odorat, pas à ce qu’ils voient. Nous disposerons les corps ici même, adossés contre ce mur. À la place où nous nous tenons présentement. Dès qu’il entrera, le dogue, trompé par son flair, se jettera sur eux.
    — Et nous ? Où serons-nous ?
    — Cachés sous le lit.
    — Nus ?
    — Mais non, idiot. Nous aurons enfilé les vêtements des morts qui sont là, éparpillés sur le sol. Pour annuler notre odeur corporelle, nous nous serons frottés avec la poudre verte des fumigations. Cela devrait affaiblir nos émanations naturelles. Dès que le chien commencera à s’acharner sur les cadavres, nous sortirons de notre cachette pour filer dans le couloir et nous refermerons la porte, ainsi le dogue se retrouvera prisonnier de la chambre.
    — C’est stupide, ça n’a aucune chance de réussir.
    — Tu as mieux à proposer ? Tu veux rester là, à marmonner des prières, à battre ta coulpe en attendant que l’avalanche nous enterre ?
    — Non…
    — Alors aide-moi !
     
    Wallah a conscience que son plan relève de la folie, mais elle ne veut pas mourir sans avoir tout tenté ; ce serait faire honte aux mânes de son père. Elle pense qu’une heure de « chauffe »
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