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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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suffira à dégeler les cadavres. Pour cela, il faut trouver du combustible. Aidée de Jehan, elle entreprend de disloquer la tête de lit et les montants. Ce n’est pas facile, cependant les efforts accomplis ont le mérite de vaincre l’engourdissement qui les gagnait. L’écuyer commence par allumer un maigre feu dans l’âtre. Le résultat ne se fait pas attendre, la fumée envahit la pièce. Ils toussent à s’en arracher les poumons. L’eau de fonte ruisselle sur les parois du conduit. Les flammes crépitent puis s’éteignent. Il faut sécher la pierre, rallumer. Ils pleurent, les yeux irrités par la fumée. Jehan crache des injures, ses mains tremblent. Au troisième essai les ruissellements cessent, le bouchon de neige qui obstruait la cheminée a suffisamment fondu pour que la fumée s’évacue à l’extérieur. À présent, il faut nourrir le foyer au moyen des débris récupérés sur le lit des amants ; surtout ne pas laisser s’éteindre la flambée dont les effets se font déjà sentir.
    De l’autre côté de la porte, le chien a deviné qu’il se passait quelque chose, et multiplie les aboiements.
    La température grimpe. Les murs se couvrent d’humidité. Wallah rassemble les vêtements des amants et les dispose devant l’âtre pour les réchauffer. Elle transpire. Tant mieux ! son odeur corporelle n’en imprégnera que mieux les habits qu’elle porte.
    — Comment fera-t-on pour laisser entrer le chien ? s’inquiète Jehan.
    — On sera obligés de reculer le lit et d’ôter le loquet. Puis on l’excitera de la voix. Ça le rendra fou. Sous ses bonds, le battant s’entrebâillera. Ce sera suffisant pour qu’il se glisse dans la pièce. Dès qu’il se jettera sur les morts, on en profitera pour se faufiler à l’extérieur, claquer la porte derrière nous, et la coincer avec une cale de bois qui l’empêchera de pivoter sur ses gonds. Le chien ne pourra pas la rouvrir, il lui faudrait des mains pour manœuvrer la poignée.
    — Sauf si on lui a appris à le faire en se servant de ses mâchoires…
    — C’est toute l’utilité de la cale. Si on l’enfonce assez fort sous la porte, elle bloquera les gonds.
    Ils n’ont plus qu’à prendre leur mal en patience en essayant de ne pas trop penser à ce qui les attend si leur stratégie se solde par un échec.
    Ils s’installent, le dos à la muraille, silencieux, sans échanger un regard.
    *
    Jehan éprouve une sorte de curieux soulagement. Il a toujours pressenti que cela finirait ainsi. Savoir que tout sera réglé d’un instant à l’autre lui est une délivrance.
    Dieu ! tous ces mois passés dans l’angoisse, à attendre un châtiment qui tardait à venir, à guetter l’ombre d’Anne de Bregannog au détour des couloirs… Cent fois il a cru devenir fou. À présent tout est presque fini, et c’est tant mieux. La parenthèse aberrante va se refermer. Il ne nourrit aucune illusion quant à leurs chances d’échapper au chien infernal ; s’il joue la comédie, c’est pour ne pas décevoir l’étrange gamine qui l’accompagne. Il a pitié d’elle, elle est encore à l’âge où l’on croit qu’il suffit d’entreprendre pour réussir. Il a été comme cela, jadis, il y a très, très longtemps, avant d’être broyé par l’engrenage du vice.
    Il s’étonne encore de la tournure prise pas les événements. Il se revoit, jeune homme, entrant au service d’Ornan, gonflé de fierté et d’espoir. Comme il admirait son maître, alors ! Il était loin de deviner ce qui l’attendait.
    Il a glissé sur la pente de l’horreur sans même s’en apercevoir, parce que cela faisait partie de son apprentissage. La cruauté érigée en système. Apprendre à tuer tout sentiment, toute pitié en soi.
    Lui que les récits des ménestrels faisaient rêver et qui glorifiait Lancelot, a découvert qu’un chevalier devait être non seulement un assassin professionnel mais également un faiseur d’épouvante.
    Au contact d’Ornan, il a appris la tactique de l’horreur. Faire peur, être précédé par une réputation qui terrifie l’ennemi. Faire naître en l’adversaire l’envie de prendre ses jambes à son cou.
    La guerre n’est pas affaire de gentilshommes, quoi que prétendent les troubadours. Oui, la terreur est le maître mot ; construire autour de soi une légende sanglante, barbare… apparaître comme un démon assoiffé de carnage. Lorsqu’on a réussi cela, on jouit d’un avantage
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