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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac
Autoren: Anne Tremblay
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de maigres économies et sa bonne humeur. Arrivé à Montréal, il
     s’engagea sur un bateau qui transportait toutes sortes de marchandises destinées
     au bien-être des habitants de Chicoutimi. Le marin avait commencé la tranquille
     descente du fleuve Saint-Laurent enpleine forme. Cependant, à la
     hauteur de la ville de Québec, il s’était senti légèrement étourdi. Il avait mis
     cela sur le compte de la splendeur du tout nouveau château Frontenac qui
     dominait le fleuve du haut de son escarpement et qui donnait le vertige vu d’en
     bas. Mais à l’embouchure de Tadoussac, les oreilles bourdonnantes, la tête prête
     à éclater, il dut se rendre à l’évidence, quelque chose n’allait vraiment pas.
     Titubant, tanguant, il voulut en aviser son capitaine, mais la cabine de
     celui-ci sembla tout à coup s’évanouir dans un brouillard tout noir. Il fut
     transporté, inconscient, jusqu’à une couchette isolée, sur laquelle, fiévreux,
     il délira dans sa langue natale tout le long du Saguenay. Il souffrait d’un mal
     aussi étrange que son nom et son accent. Le capitaine fut plus que soulagé
     d’accoster enfin au quai de Chicoutimi. S’il fallait que cet Irlandais soit
     porteur du typhus comme ses aïeuls, se dit le capitaine en frissonnant. Il ne
     voulait pas d’embarras pour le voyage de retour, encore moins d’un moribond et
     celui-là semblait sur le bon chemin d’en devenir un. On ne lui connaissait
     aucune famille, aucun ami, rien. Comme le capitaine l’avait engagé illégalement,
     il ne pouvait guère le déclarer sur les listes des sœurs de
     l’Hôtel-Dieu-Saint-Vallier. Si l’ancien hôpital maritime n’avait pas fermé ses
     portes aussi, sans doute l’aurait-il fait transporter jusque-là. On ne posait
     jamais trop de questions là-bas, tandis que les sœurs étaient si pointilleuses…
     Non, décidément, la meilleure solution était de s’en débarrasser au plus
     sacrant, de le confier aux mains du Seigneur ou tout au moins à son
     représentant, au cas, peu probable, où le marin ne trépasserait pas. Peu
     importait, ce ne serait pas le premier matelot que l’on retrouverait abandonné
     sur les marches d’un presbytère en pleine nuit. Encore heureux qu’il n’ait pas
     passé, par accident, par-dessus bord avec son sac.
    C’est ainsi qu’un matin, Patrick O’Connor ouvrit les yeux dans un lit inconnu,
     un homme d’Église penché sur lui. Petit, bedonnant, despetites
     lunettes rondes sur le bout du nez, une calvitie importante, l’homme à la
     soutane se tenait au pied du lit, silencieux, semblant compter chaque tache de
     rousseur du malade. La gorge en feu, l’Irlandais essaya de demander à boire. Le
     curé comprit le besoin du malade et, lui soulevant la tête, l’aida à avaler une
     ou deux gorgées d’un verre d’eau qu’il avait pris soin de faire déposer sur la
     table de chevet. Le marin le remercia des yeux et retomba sur l’oreiller,
     complètement épuisé par ce seul effort. Le curé avança une petite chaise droite
     près du lit, s’y assit et regarda longuement cet étranger qui semblait vouloir
     défier la mort. Il lut dans son regard, outre la souffrance, de l’inquiétude et
     surtout de l’incompréhension.
    — C’est ma servante qui vous a trouvé à l’aube, expliqua le curé. Vous étiez
     sans connaissance sur notre perron. Vous comprenez ce que je dis au moins, mon
     brave ? Bon, reprit-il, soulagé par le signe d’acquiescement du malade. Parce
     que vous n’êtes pas d’ici, n’est-ce pas ? Non, non, n’essayez pas de répondre,
     vous allez vous fatiguer pour rien. Le docteur a dit que si la fièvre tombait,
     tout rentrerait dans l’ordre. D’ailleurs, c’est déjà bon signe que vous ayez
     repris vos esprits, n’est-ce pas mon brave ? Il ne sera pas dit que je refuse
     mon aide aux brebis égarées qui viennent frapper à ma porte ! Nous allons vous
     faire transporter à l’hôpital, on saura…
    — NON… NON ! Pas hôpital !!!
    Patrick O’Connor s’agita dans son lit, essayant de se relever, répétant :
    — Pas hôpital !
    Pour le marin, comme pour la plupart de ses contemporains, hôpital était
     synonyme de mouroir et il n’était pas question qu’on le fasse mourir plus vite
     que son heure. Il était fort, âgé d’à peine trente ans et il en avait vu
     d’autres, là-bas, dans son pays, il avait seulement besoin de repos. Le curé,
     surpris par la
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