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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac
Autoren: Anne Tremblay
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effacé de la jeune femme. Sûrement que cette Joséphine ne causerait
     aucun souci à la communauté, contrairement à ces jeunes écervelées aux bonnes
     manières oubliées qu’elle rencontrait trop souvent. À ses cheveux raides d’un
     noir jais et un peu à la forme de son nez, on devinait que cette fille avait
     manifestement du sang indien qui coulait dans ses veines. Cet héritage était
     synonyme de vaillance et de soumission. Et puis le curé l’avait chaudement
     recommandée. Oui, certainement une bonne affaire. Pour un salaire de misère,
     cette véritable bête de somme abattrait un énormetravail… Et ces
     yeux baissés, ces cheveux ramassés en chignon, sans aucune coquetterie, cette
     peur qu’elle entendait dans cette petite voix fluette lui certifiaient qu’elle
     faisait le bon choix.
    — C’est d’accord, mademoiselle Mailloux, vous débuterez lundi matin. Vous serez
     logée et nourrie, comme convenu, et vous aurez un dimanche de congé par
     mois.
    Si la religieuse avait pu se douter, lors de cette entrevue, que sous cette
     difforme robe de coton grossier se cachait un cœur immense qui allait éclater
     d’amour à la vue de tous ces petits orphelins, ses petits poussins comme elle
     les appelait (elle se croyait dans une basse-cour ou quoi ?), probablement
     qu’elle ne l’aurait jamais prise à son service. Quoique cette grosse fille était
     travaillante comme dix… Ah, cette Joséphine, toujours prête à aider, à
     pardonner, à cajoler, quelle plaie, ces excès de sensibilité ! Ah, ce grand rire
     aigu qui venait vous écorcher les oreilles à tout moment ! Si elle ne pouvait se
     retenir, qu’elle ait au moins la décence de se cacher ! Par contre, jamais une
     plainte, même devant les tâches les plus ingrates… Ah, cette transpiration qui
     auréolait ses emmanchures… Ah, ces bras dodus toujours prêts à attirer un
     enfant… et ces seins énormes qui le recevaient confortablement… quelle
     répugnance ! Elle communiquait même son laisser-aller aux autres sœurs plus
     naïves et faibles. Ah, la nature humaine ! Être mère supérieure demandait
     vraiment une force de caractère, une droiture sans faille, une vigilance à toute
     épreuve. Elle devait se résigner et souffrir la présence de cette Joséphine.
     Seigneur Dieu Tout-puissant, qu’on lui en donne la force ! On ne pouvait jeter à
     la rue cette pauvre esseulée… Et puis, il faudrait la remplacer… Allons, un peu
     de charité chrétienne tout de même !
    Oui, Joséphine Mailloux était vaillante. Cela lui était facile, elle adorait
     son travail ! Jamais la jeune femme ne se serait attendue à cela. Fini le grand
     vide, le sentiment d’inutilité qu’elle éprouvait avantd’entrer
     au service de l’orphelinat. Elle qui avait tellement rêvé d’avoir une famille,
     des enfants, elle était gâtée. Mais, comme Dieu prenait parfois de drôles de
     chemins pour réjouir ses ouailles. Que d’heures elle avait passées à genoux,
     implorant le ciel de lui donner un mari. Toutes ses sœurs en avaient un, même
     les deux plus jeunes, pourquoi pas elle ? Elle savait qu’elle n’était pas belle,
     elle ne se faisait pas d’illusions. Mais elle saurait rendre un homme heureux,
     tout lui donner, tout faire pour lui, le servir, le vénérer, n’importe quoi.
     Qu’on lui en donne seulement la chance ! Était-elle condamnée à rester vieille
     fille, à tenir maison pour un père veuf et malade ? Aucun prétendant pour ses
     dix-sept ans et pas le moindre rendez-vous pour ses vingt ans. Prières, larmes,
     supplications, rien n’y faisait. À vingt-deux ans, elle commençait à se résigner
     et à espacer les neuvaines quand elle avait cru la réponse à ses prières enfin
     arrivée.

    Il s’appelait Patrick O’Connor et il venait d’un pays lointain, l’Irlande. Avec
     sa tignasse rousse et ses taches de rousseur, on n’avait aucune difficulté à
     deviner ses origines sans besoin d’entendre son nom. Depuis maintenant
     cinquante-deux ans que des familles complètes d’Irlandais s’étaient réfugiées au
     Québec, fuyant la famine, alors il n’était pas rare d’en croiser. Mais si
     Patrick O’Connor se retrouvait en 1899 dans la petite ville de Chicoutimi, loin
     de chez lui, ce n’était pas par manque de nourriture mais seulement par goût de
     l’aventure. Aussi avait-il quitté sa terre natale, avec pour toute fortune son
     sac de marin,
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