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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac
Autoren: Anne Tremblay
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maximum, et encore ! Ah ! Qu’il rêvait d’une épaisse barbe qui lui fournirait
     les clés de la respectabilité, s’imaginait-il. Mais non, il avait beau, chaque
     année, prendre la décision de ne plus se raser, il devait immanquablement,
     quelques mois plus tard, faire face devant son miroir au flagrant échec de sa
     tentative et rayer, de quelques rageurs coups de rasoir, un semblant de barbe
     clairsemée ici et là. Mais pour le moment, peu lui importait son air juvénile,
     c’était même le dernier de ses soucis. Soupirant profondément, il se détourna de
     la fenêtre, hésita à faire quelques pas, changea d’idée et revint à son poste
     d’observation.
    Comme lui, les habitants de cette petite ville n’avaient guère dormi de la
     nuit. En temps ordinaire, c’était un joli endroit où il faisait bon vivre. Les
     maisons à deux étages étaient charmantes, avec leurs deux lucarnes sur la façade
     du toit en bardeaux de cèdre, telle une paire d’yeux de commère de village, aux
     sourcils froncés de désapprobation pour ses voisins, mais ne voulant jamais rien
     rater du spectacle. Quelques maisons avaient vue sur le lac Saint-Jean qui
     bordait la ville, d’autres pouvaient suivre les saisons d’après les couleurs de
     la forêt au loin. On y retrouvait une fromagerie, un magasin général, une
     banque,des écoles, un couvent et même un hôpital ! Tout ce petit
     monde bien simple s’était regroupé autour de leur belle et fière église, reine à
     la couronne crucifère et au long cou paré d’une magnifique cloche qui riait aux
     éclats lors des mariages et des messes dominicales, mais qui avait la gorge
     serrée les jours, hélas trop fréquents, de deuil. Malgré l’éloignement des
     grandes villes mouvementées comme Québec et Montréal, et même si les hivers, aux
     chutes de neige abondantes et aux bateaux hibernés, semblaient n’offrir que
     réclusion, ses habitants étaient, en contrepartie, chaleureux, débrouillards et
     toujours prêts à s’entraider. Ils savaient s’amuser, conter, giguer, turluter,
     accompagnés du voisin violoneux ou de l’autre avec sa musique à bouche ou,
     mieux, des deux. À Roberval, on avait une fanfare, une bibliothèque remplie
     seulement de livres de bonne lecture, il va sans dire, un magasin général pourvu
     de toutes les marchandises nécessaires et un grand hôtel, occupé l’été par des
     touristes venus en grand nombre pêcher la ouananiche et la truite, faire des
     excursions en canot et essayer d’apercevoir un Indien ou deux. Oui, on pouvait
     dire que c’était vraiment une jolie ville où il faisait bon vivre… Mais pas ce
     matin-là.
    Ce matin-là, on commençait à évacuer les malades de l’hôpital, une bourrasque
     ayant jeté par terre une partie de la véranda. Ce matin-là, l’eau recouvrait
     complètement la cour du couvent des Ursulines et s’apprêtait à s’infiltrer dans
     la cave où les chaudières ne feraient plus long feu. Ce matin-là, le clocher de
     l’église avait peine à tenir le coup… Dans les maisons, qui craquaient sous la
     tension des événements, les enfants avaient peur et se bouchaient les oreilles.
     Les plus grands priaient à genoux avec leurs parents, les aïeuls se signaient et
     recommençaient un rosaire. Personne ne savait vraiment quoi faire, personne
     n’avait jamais connu une crue aussi dévastatrice. Derrière les carreaux, l’homme
     bougea un peu et, soupirant de nouveau, il leva une main aux grands doigts fins
     avec l’intention machinale de la passer dans ses cheveuxroux.
     Mais son geste resta en suspens et son bras retomba mollement le long de son
     corps. Comme il se sentait impuissant ! Et si las…
    « Pour moé, toute cette eau va faire de ben gros dégâts » se dit-il.
    Harassé par sa nuit blanche, lentement, pour ne pas faire de bruit et réveiller
     ainsi le reste de la maisonnée, il fit glisser vers lui la chaise berçante.
     Aussi bien s’asseoir et attendre que le jour se lève complètement ; peut-être
     qu’ainsi, il y verrait un peu plus clair, autant dehors que dans sa vie. Sa vie…
     De nouveau, il émit un immense soupir qui sembla résonner dans la pièce, au
     point que l’homme se retourna pour s’assurer qu’il était toujours seul dans la
     cuisine.
    « Idiot, tu t’étais pas rendu compte que depuis des mois, tu respirais que de
     cette façon, à grands coups d’air ! »
    À force d’écouter
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