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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac
Autoren: Anne Tremblay
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texture brune et malodorante facilement reconnaissable.
     François restait toujours imperméable à la pluie d’accusations que les
     religieuses déversaient sur lui. Il n’avouait jamais ses méfaits et, peu à peu,
     elles abandonnèrent tout espoir de le sauver et commencèrent à lui vouer une
     indifférence totale, pour ne pas appeler cela une haine silencieuse. Ainsi, à
     peine âgé de trois ans, il se retrouvait déjà privé d’affection, d’attention et
     d’amour.
    Une fois, François avait essayé d’entrer dans les bonnes grâces des
     religieuses. Un plus grand, qui avait connu l’autre vie, dehors, lui avait
     expliqué, grosso modo , ce qu’était une maman. Cela semblait si
     merveilleux, une maman qui prenait son petit gars dans ses bras, le berçait en
     chantant des chansons, le consolait quand il tombait. Unemaman…
     François en voulait une, lui aussi. Après avoir étudié les différentes
     possibilités qui s’offraient à lui, il opta pour le visage religieux le moins
     rébarbatif et partit à sa conquête. Repérant son élue, qui se dirigeait d’un pas
     pressé vers la chapelle, François ne fit ni une ni deux et se mit à courir
     derrière elle. Un peu essoufflé, les joues rouges, il la rattrapa. S’agrippant à
     la tunique, au risque de la déchirer, ne sachant comment lui annoncer la grande
     nouvelle, l’orphelin leva les yeux vers celle qu’il avait choisie pour devenir
     sa maman et lui offrit un sourire extatique. Sœur Jeanne-de-la-Miséricorde se
     retourna, étonnée devant le comportement soudain de François. Elle abaissa sur
     l’enfant un regard incrédule. Celui-ci se mit à croire à la réussite de son
     projet. Il se força à élargir son sourire, mais ne réussit qu’à donner
     l’impression d’un rictus forcé et ironique. La religieuse porta une main à son
     cœur, y trouva son chapelet et l’étreignit pour ne pas défaillir. Lentement,
     elle réussit à soulever son autre main et l’approcha de la tête rasée du
     garçonnet. Reprenant tout à coup ses sens, sœur Jeanne-de-la-Miséricorde lui
     envoya une de ces taloches, spécialité maison, qui jeta littéralement François
     par terre, et lui dit :
    — Toi, touche-moi plus jamais, pis va faire tes niaiseries ailleurs !
    Et elle reprit sa course vers la prière, la tête haute, tout en défroissant sa
     robe chiffonnée par la poigne du garçonnet. François se releva, lentement, les
     larmes aux yeux, la joue brûlante d’humiliation, regardant s’éloigner sa
     terrible désillusion. Serrant les dents et les poings, il remarqua tout à coup
     la jolie statuette de la sainte Vierge qui lui souriait tristement de l’autre
     côté du corridor, seul témoin de sa mésaventure. Reniflant, se mouchant le long
     de sa manche, il s’approcha doucement. Sainte Marie, mère de Dieu, mère de Dieu…
     C’est pas juste, même Dieu a une maman ! Alors, sans prendre la peine de
     vérifier l’éventuelle présence de spectateurs gênants, sans hésitation, il
     délogea l’icône de sa niche. De toute la force de ses petits bras,il la fracassa violemment contre le sol avant de s’enfuir à toutes jambes dans
     la direction opposée aux éclats de plâtre. Bof, après tout, il n’avait pas
     besoin d’une mère ! Puisqu’il s’en était passé jusqu’ici, il pouvait s’en
     accommoder encore.
    Il reprit donc son quotidien. Entre la prière du matin et celle du soir et les
     mauvais coups qu’il pouvait imaginer entre les deux, François grandissait.
     « Comme de la mauvaise graine », disait sœur Thérèse. « Sans aucune chance qu’il
     ne soit jamais adopté », renchérissait sœur Bernadette. Mais pour François,
     quelle importance ! Il n’avait jamais rien connu d’autre. Le gruau était
     toujours plein de grumeaux, les patates souvent froides et prises au fond, mais
     il avait le ventre rempli trois fois par jour et une couverture de laine pour
     dormir ! Alors, ce petit bonhomme ferma son cœur aux autres et il aurait
     probablement été incapable d’aimer à son tour si ce n’avait été de la
     providentielle arrivée à l’orphelinat, quelques mois plus tard, de Joséphine
     Mailloux.

    Joséphine Mailloux avait vingt-six ans environ et venait d’être engagée comme
     aide à tout faire. La directrice de l’orphelinat avait été séduite par la
     robustesse, les mains rougies et cornées par les travaux ménagers et surtout
     l’esprit
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