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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac
Autoren: Anne Tremblay
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la nuit, on peut entendre des choses que nul autre ne
     perçoit. La vérité, par exemple. Et la vérité, c’était qu’il étouffait ! Oui,
     voilà, il étouffait ! Toujours cette sensation de ne pouvoir inspirer jusqu’au
     fond, que quelque chose repoussait l’air.
    Dans sa tête, tout allait si vite. Sans cesse, des images apparaissaient, des
     pensées s’imposaient.
    « Allons, voir si ç’a de l’allure de déraisonner de même… »
    Il essaya de se concentrer sur le bruit régulier des patins de la chaise,
     frappant à chaque bercée les lattes du plancher de pin en un petit coup sec,
     qu’il se mit à compter silencieusement.
    « Un, deux, trois, quatre…
    Bon voilà, oui, huit, neuf, dix… »
    Bien vite, il perdit le fil du compte des va-et-vient de sa berçante et
     s’immobilisant, il se mit à scruter l’horizon. La pluie était loin de
     diminuer.
    « Ouais ! De ben gros dégâts… » se répéta-t-il.
    Il plongea sa main dans une des poches de son pantalon à bretelles et en
     ressortit une petite croix de bois.
    La retournant entre ses doigts, il pria pour que le saint objet
     dissipe les ombres de sa nuit intérieure. Puis, tout à coup, l’homme se
     recroquevilla sur la chaise et éclata en sanglots. Il n’en pouvait plus de cette
     angoisse, de cette oppression à la poitrine, comme si un géant s’amusait à lui
     broyer le cœur. Il n’y a pas de plus grande souffrance que celle de l’âme, il
     l’échangerait sur-le-champ contre mille tortures… Reprenant sur lui, il se
     releva, en soupirant évidemment, et vint appuyer son front sur l’une des
     traverses qui séparaient les carreaux de la fenêtre.
    « Mon pauvre vieux lac Saint-Jean, toé aussi t’en peux pus ? Toé aussi tu
     étouffes, hein, mon vieux ? Je l’sais, mais épargne ma belle grande maison,
     j’t’en supplie… »
    Le lac avait toujours été pour lui comme un ami, une sorte de confident, et
     l’homme avait pris l’habitude de s’adresser à lui comme à une personne. Le lac
     avait été témoin de ses jeux d’enfant qu’il avait souvent partagés, de ses
     amours qu’il avait contemplées, de ses rêves qu’il avait aidé à réaliser, de ses
     déceptions qu’il n’avait pu lui éviter. La vue, l’odeur, le chant, les caresses
     de l’eau du lac l’apaisaient, le ressourçaient et étaient devenus le sens, les
     sens, l’essence même de sa vie. Ils avaient les mêmes reflets gris bleu, lui au
     fond des yeux, l’autre à la surface de ses eaux. Il se souviendrait toujours de
     leur première rencontre. Il avait quatre ans.

    Pour cet homme, rien de plus facile que de se rappeler son âge puisqu’il était
     né en même temps que le nouveau siècle ! 1900… C’était presque le seul bon côté
     du jour de sa naissance, étant donné que la nuit même, il avait été déposé au
     pied de l’Hôtel-Dieu-Saint-Vallier, l’hôpital de Chicoutimi, une ville toute en
     hauteur sur le bord de la rivière Saguenay. Tout comme Roberval, c’était une
     jolie petite villeoù il faisait bon vivre, sauf que pour
     François, du nom qu’on lui avait donné à l’orphelinat en l’honneur du saint que
     l’on célébrait en ce 2 avril, ses souvenirs de petite enfance n’avaient rien de
     réjouissants. Ils se résumaient à de sombres robes cléricales se mouvant le long
     de gigantesques murs blancs, entre lesquels on écoulait ses jours avec d’autres
     orphelins, mais aussi des vieillards, des infirmes, des indigents et des idiots
     de village, ces erreurs de la nature et de la vie, tous pensionnaires de cet
     hôtel du Seigneur. Par malheur ou par chance, François était plutôt d’un
     caractère insoumis. Indocile, il tenait tête aux religieuses et rien ne pouvait
     les mettre plus hors d’elles que cette résistance, surtout venant d’un si petit
     être dont elles avaient sauvé la vie et l’âme, c’était inadmissible ! Il devait
     reprendre le bon chemin, à coup de baguette s’il le fallait ! En prière, à
     genoux, toute la journée, sans manger, il finirait certainement par entendre la
     voix de la raison, à défaut de celle du Seigneur. Mais le malin devait lui
     boucher les oreilles et s’être entiché de lui, car malgré tous les efforts
     qu’elles déployaient, elles continuaient à chercher désespérément certains
     objets disparus mystérieusement et à retrouver sur les murs d’étranges dessins
     faits d’une écœurante
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