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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers
Autoren: Marc Dugain
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    sont mes jumelles? Mon cheval a un trot tellement chaotique que ma vessie maltraitée menace de déborder. Pied à terre. Je m'installe contre un bouleau.
    Une détonation part de tout près. Un sifflement d'un quart de seconde. J'ai le temps de voir une tête qui se détache d'un corps qui plie sur ses genoux, un cheval qui s'effondre. L'autre sous-lieutenant, qui était resté
    en selle, s'écroule de mon côté, l'épaule arrachée, l'os qui sort comme d'un jambon. Je sens comme une hache qui vient s'enfoncer sous la base de mon nez. Puis on coupe la lumière.
    L'araignée tisse sa toile. Lentement. S˚re de son fait. C'est dans l'ordre des choses. L'araignée attend la mouche. La mouche vient s'échouer dans la toile. La mouche a perdu. Elle ne se plaint pas. Il n'y a pas de drame dans la nature.
    Cette mouche qui s'épuise dans d'ultimes et inutiles efforts, c'est la première image de mon retour à la conscience. Elle est au-dessus de moi, accrochée à ce plafond blanc cassé dont la peinture s'écaille.
    Une deuxième image vient se superposer le dessous du menton et les pointes de moustaches de deux hommes en pleine conversation, les bras croisés, qui, par intervalles, jettent un oeil sur moi sans me voir. Et j'entends au loin les bribes d'un dialogue qui me parait être celui d'un officier et d'un chirurgien.
    - On va lui donner la Légion d'honneur, pendant qu'il est temps. Votre diagnostic?
    - Je crains la gangrène gazeuse, mon capitaine. Il a été découvert il y a six jours, et il semble qu'il agonisait sur les lieux depuis au moins deux jours. Nous l'avons reçu ce matin. A l'ambulance, ils n'ont pas osé y toucher. C'était certainement le premier blessé de ce type. Ses blessures sont un marais de pus. Les matières purulentes ont envahi la cavité. Par malheur - car ses souffrances en eussent été abrégées - une projection de boue a bloqué l'hémorragie de l'artère linguale, ce qui explique qu'il n'ait pas perdu tout son sang.
    - Alors qu'en pensez-vous, la Légion d'honneur?
    - Il est encore temps, mon capitaine.
    Je réunis tout ce qui me reste d'énergie pour saisir la manche de l'officier. Je veux essayer quelques mots, mais rien ne vient. Alors, d'un signe de la main, je lui fais non, en lui montrant l'endroit o˘ d'habitude on accroche les médailles. Je lui vois l'air surpris, avant de retomber sans connaissance.
    Je suis réveillé quelques heures plus tard par une douleur si forte et si diffuse que je suis incapable d'en localiser l'origine précise. Mes pieds bougent. Les deux. Les mains aussi. Chacun de mes yeux perce la semi-obscurité. Je suis entier. Avec ma langue je fais le tour de ma bouche. En bas, elle vient s'appuyer sur les gencives de la m‚choire inférieure: les dents ont été pulvérisées. Les hauteurs, elles, s'annoncent comme un couloir sans fin; ma langue ne rencontre pas d'obstacle et, lorsqu'elle vient toucher les sinus, je décide d'interrompre cette première visite.
    C'est tout ce vide qui me fait souffrir.
    De nouveau, je vois s'agiter au-dessus de moi deux mentons. Les deux hommes sont en blouse blanche. Nouvelle tentative pour parler, qui se solde par un gargouillis sourd comme la plainte d'un grand mammifère.
    Les médecins n'ont pas remarqué ma tentative malheureuse et continuent à
    discourir sur mon cas. Deux longues sangles me maintiennent pieds et mains liés au lit de camp et m'interdisent le moindre geste. On s'agite beaucoup dans ce couloir qui ressemble à une gare de triage. La guerre a donc bel et bien commencé. Je n'ai pas été victime d'un coup de semonce.
    - Une fiche a été faite au poste de secours, mais elle est illisible.
    Couverte de salive et de sang mélangés.
    - Voyons voir. Destruction maxillo-faciale. Notez, mon vieux! Béance totale des parties situées du sommet du menton jusqu'à la moitié du nez, avec destruction totale du maxillaire supérieur et du palais, décloisonnant l'espace entre la bouche et les sinus. Destruction partielle de la langue.
    Apparition des organes de l'arrière-
    gorge qui ne sont plus protégés. Infection généralisée des tissus meurtris par apparition de pus. Il poursuit
    - Sérions les problèmes! Risque de gangrène par infection des parties meurtries. Risque d'infection des voies aériennes et régions pulmo naires par manque de protection. Risque d'anémie par difficulté d'alimenter le blessé par les voies buccales et nasales. Conclusion, Charpot vous me dégagez ce bougre à
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