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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers
Autoren: Marc Dugain
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du scélérat. "
    Marguerite avait un cousin proche qui travaillait à la préfecture de Paris.
    Au début du mois de juin, celui-ci lui fit comprendre qu'il se préparait quelque chose. Marguerite nous écrivit en Bretagne pour nous faire part de ses inquiétudes.
    Je revois Penanster franchir le petit portail de notre maison de pierre par un matin de bruine, s'installer dans la salle à manger, et me dire pendant que je lui réchauffais une sorte de café
    - Adrien, il faut que tu te prépares à partir à Paris avec moi. On doit récupérer les Weil avant qu'il ne soit trop tard.
    Je n'avais, à vrai dire, jamais imaginé que l'antisémitisme puisse conduire à la mort. Et je dois avouer que je pensais alors que Penanster exagérait franchement quand il parlait de camps. J'imaginais des camps de prisonniers civils, mais rien au-delà. Penanster me confia alors qu'il travaillait pour le renseignement anglais, et qu'un de ses contacts lui avait confirmé que les Allemands conduisaient les juifs à la mort.

    Ce n'était vraiment plus le temps de discuter.
    L'expédition fut organisée dans les premiers jours du mois de juillet. La sortie de Paris
    fut assez délicate. Elle se fit dans la voiture d'un fonctionnaire de police breton, correspondant de Penanster dans la capitale, qui conduisit Weil, sa femme et ses deux enfants jusqu'à Maintenon. De là, nous leur fîmes traverser la France vers l'ouest.
    Penanster installa la famille Weil dans la cave de vieux b‚timents agricoles en lisière de forêt. Ils n'en ressortirent que deux ans plus tard, à la Libération.
    Pendant ces deux années, nous reprîmes nos habitudes. Chaque jour, Penanster et moi nous rejoignions Weil, pour une partie de cartes. " Cinq plus deux égale sept années d'enfermement, se plaisait à répéter Weil. Pour un homme qui n'a rien à se reprocher, c'est tout de même pas banal, non? "
    Un matin de l'été 44, Ernestine, la vieille bonne de Penanster, la seule à
    partager avec nous le secret de la cache des Weil, souleva la trappe recouverte de foin et nous annonça d'une voix monocorde, sans la moindre émotion
    - La guerre est finie, messieurs dames, et les Allemands sont dehors.
    Weil abattit sa dernière carte sur la table. Puis il se leva, soulevé par un fou rire mélangé de larmes, qui l'envahit jusqu'à l'étouffement et l'empêcha de dire un mot pendant plusieurs
    minutes. Lorsqu'il put enfin parler, il nous lança
    - La der des der!
    Nous avons partagé ce rire qui mettait fin à sept années d'un isolement particulier, étrange pièce de thé‚tre à deux décors, une salle d'hôpi tal militaire et le sous-sol d'une grange bretonne.
    Depuis la fin de la guerre, Penanster était sujet à des vertiges, des absences, des pertes de mémoire, séquelles de ses blessures. Au prin temps 1946, il partit dans le Vercors pour un pèlerinage avec un groupe de résistants. Un soir après le dîner, il quitta le petit hôtel du plateau o˘
    résidait le groupe, pour une promenade digestive. Le matin suivant, il n'était pas revenu. On le retrouva en fin de journée, au milieu des ronces, en bas d'un précipice, mort. Il avait à la main un mouchoir brodé à ses initiales. Le sang qu'on y trouva ainsi que des plaies aux genoux indiquaient qu'il avait fait plusieurs chutes dans son égarement avant que de lointaines lumières semblables à celles de naufrageurs bretons ne l'attirent au fond d'un ravin.
    Nous lui fîmes des funérailles grandioses en l'église Saint-Louis-des-Invalides.
    Nous étions debout, Weil et moi, à la droite du cercueil, face à la nef.
    Marguerite, effondrée, se tenait assise au premier rang. Les vieux cama rades arrivaient les uns après les autres. Lorsqu'ils furent installés, on vit entrer dans l'encadrement du porche des hommes jeunes. Certains avaient des pansements autour de la tête. D'autres portaient leurs br˚lures à l'air libre. Des aviateurs, beaucoup d'aviateurs. Tous avaient l'air jeunes. Ils s'avançaient, intimidés par les anciens. Il y avait beaucoup de tristesse dans leurs regards.
    Je me serrai contre Weil et lui demandai
    - qu'est-ce qu'on va faire, maintenant? Il eut un long silence avant de répondre
    - On va leur apprendre la gaieté.
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