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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers
Autoren: Marc Dugain
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des circonstances, il m'avait été difficile de la revoir. Sa réponse me fit l'effet d'une seconde blessure, presque aussi dévastatrice que l'autre.
    - Si vous étiez revenu vers moi alors, comme il était entendu lorsque nous nous sommes quittés, je ne crois pas que cet orateur vous aurait supplanté.
    C'est peut-être notre isolement et le confort de nos parties de cartes en sirotant des suzes qui nous a rendus aveugles aux prémices de la guerre. Nous ne voulions pas la croire possible. Tout ce que nous avions enduré, nous l'avions fait parce qu'on nous avait persuadés que notre guerre était la dernière. Mes amis et moi avons fait la sourde oreille aux bruits de bottes. Au retour de Daladier de Munich, c'était pour nous une affaire réglée: les Allemands n'oseraient jamais nous attaquer. Même lorsqu'ils ont envahi la Pologne, nous avons continué à croire que quelque chose allait sauver la paix.
    C'était au point qu'au printemps 40, nous sommes tous partis en famille dans le nord de la Bretagne. Les Allemands sont entrés en France au mois de mai et ont rejeté l'armée anglaise à la mer pendant que la nôtre s'éparpillait sur les routes. Puis le maréchal Pétain a repris les choses en main, c'était le retour à la paix. Une bonne paix pour ceux qui voulaient le croire, et dont nous faisions partie. Nous n'avions aucune raison de douter de la bonne foi du vainqueur de Verdun. Puis, le vieux s'est mis à dérailler et la capitulation s'est transformée en collaboration.
    Nous sommes rentrés à Paris, Weil et moi, à l'automne, laissant femmes et enfants en Bretagne, sous la protection de Penanster.
    Dans le train qui nous ramenait vers la gare Montparnasse, nous ne lisions sur le visage des gens que la peur et la méfiance. J'eus très vite le sentiment que la France vivait un double
    drame: une défaite militaire comme nous n'en avions pas le souvenir, et les prodromes d'une guerre civile entre les marionnettes d'une armée d'occupation et ceux qui n'allaient pas tarder à se souvenir de nos sacrifices passés.
    En sortant de la gare, j'eus un malaise et je dus m'accrocher très fort au bras de Weil pour ne pas tomber. La première fois que j'avais ren contré

    des Allemands, c'était le jour de la signature du traité de Versailles, qui devait à jamais nous assurer la paix. Je n'en avais vu aucun en Bretagne après la défaite, mais à Paris, ils étaient là.
    Le métro était bondé. Plus une place assise. Nous étions serrés les uns contre les autres dans le bruit et la transpiration. Soudain, deux jeunes officiers allemands se levèrent des strapontins sur lesquels ils étaient assis, et nous proposèrent leurs places. L'un d'eux nous adressa même un salut militaire.
    Cette courtoisie des vainqueurs me glaça le sang et j'obligeai Weil à
    descendre à la station suivante.
    Je mis de l'ordre dans mes affaires, passai à mon bureau m'entretenir de la marche à suivre et, quand on m'informa que la compagnie ris quait d'être réquisitionnée par les Allemands, avec ses ingénieurs, je décidai de réunir toutes nos économies et de retourner en Bretagne pour y attendre des jours meilleurs.
    Penanster nous fit vivre sur ses récoltes dont il parvenait adroitement à
    dissimuler l'importance à l'occupant. Nous avons ainsi vécu toute la guerre à Lanloup, entre Paimpol et Bréhec.
    Weil vint récupérer sa famille au début de l'hiver 41 pour la ramener à
    Paris: il avait besoin de l'aide de sa femme pour continuer à faire tourner sa petite affaire, elle aussi réquisitionnée. Il nous écrivait régulièrement. Ses lettres lui ressemblaient. Il avait gardé le détachement des premiers jours, cette distance à l'égard des événements qui le protégeait. Toutefois elles nous inquiétaient de plus en plus. Il avait mis beaucoup de temps à évoquer ce qu'il appelait lui-même la " question juive
    ". Il nous en fit part comme un journaliste qui se borne à décrire les faits. Des expositions, des inscriptions sur les magasins, des brimades, l'étoile jaune...
    Sa dernière lettre, en date de mai 42, se terminait par une phrase que lui seul pouvait écrire
    " Mes chers amis, je me plais à considérer que toute cette agitation ne me concerne pas personnellement, ni les miens d'ailleurs. Je ne vois pas comment ils pourraient s'en prendre à un homme - et à la famille de cet homme - qui s'est fait raboter la face pour la France au point d'en perdre ce qui fait le signe extérieur distinctif
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