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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers
Autoren: Marc Dugain
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il accordait un grand rôle dans la manifestation de l'amitié. Ni Weil ni moi n'avions de pareilles dispositions, et si nous n'étions pas toujours capables de réciprocité, il ne nous en tenait pas rigueur. Ses lettres continuaient à nous parvenir avec régularité, diffusant une chaleur égale. Il gérait son domaine qui, sans être d'un grand rapport, lui permettait de subsister.

    C'était le début d'une époque o˘ nous f˚mes très sollicités par le ministère de la Guerre, qui nous adressait régulièrement des invitations pour le thé‚tre, l'opérette, le concert. Nous avions nos places réservées dans tous les spectacles de Paris. Nous formions un spectacle dans le spectacle, avec nos visages bandés qui fai- saient tache dans la salle et qui, à l'entracte, concentraient l'attention du public. Certains en étaient encore à découvrir ce que cette guerre avait eu d'impitoyable. On entendait parfois, dans le silence, le sifflement respiratoire d'un de nos camarades, blessé de l'intérieur par les gaz.
    Je prenais go˚t à la musique et je n'hésitais pas à échanger une place d'opéra bouffe contre une place de concert.
    Le 14 décembre, on donna le Requiem de Fauré au thé‚tre des Champs-…lysées.
    Weil avait décliné l'invitation et nous n'étions que deux à occuper les chaises réservées aux grands blessés. Je reconnus mon voisin, qui était à
    ma connaissance le seul à avoir perdu simultanément les deux oreilles lors d'une déflagration. Nous avions partagé la même chambre pendant l'été 17.
    Je lui murmurai quelques mots, sans attendre de réponse, car je me souvenais qu'il avait également perdu l'usage de la parole. Il parvint malgré tout à sourire et à me montrer la joie qu'il avait de me revoir. Je lui demandai son adresse, l'informant que Penanster b‚tissait une association dont nous souhaitions le faire profiter. Il me la griffonna sur un petit bout de papier et rajouta, en bas de la feuille: " On les a eus, n'est-ce pas? " Pour toute réponse je lui serrai très fort le bras.
    Ensuite, la musique nous enveloppa.
    J'aimais ce Requiem, il me faisait pleurer. Rien à voir avec ces pleurs qui vous trahissent en public lorsque l'émotion vous submerge. Ni avec ceux qui vous enfoncent dans la solitude de votre détresse. Ces larmes jaillissaient de la rencontre entre le meilleur de l'homme et le souvenir des horreurs qui avaient failli conduire l'humanité à sa ruine.
    Elle était là.
    Son visage m'apparut comme la proue d'un navire, quelques instants avant une collision tragique. Son profil parfait semblait flotter dans la lumière. Son regard, dans le contre-jour, m'offrait des couleurs qui n'avaient jamais quitté ma mémoire.
    Je me sentis sombrer dans la folie. La tragique histoire de la mère de Penanster me revint à l'esprit. J'avais, jusqu'ici, le sentiment d'avoir réussi à opposer à la fatalité une résistance presque enjouée, mais mon esprit n'était pas assez robuste pour affronter la réalité de cette femme, que la maturité avait encore embellie.
    Si Dieu avait existé, j'aurais souhaité qu'il vienne, là, m'ôter la vie. Ma tête roula sur l'épaule de mon camarade, qui comprit que j'étais pris de malaise. Il voulut me porter assistance, mais je lui saisis la main, et l'assurai que tout allait bien. Puis, je me glissai parmi la foule pour gagner la sortie. En me levant, je sentis son regard se poser sur moi, puis il revint à l'orchestre avec la même
    nonchalance que j'avais remarquée cinq ans plus tôt. Je ne devais rien lui rappeler, sinon que cette guerre laissait derrière elle quelques décombres ambulants.
    Je restai de longues minutes dehors, sous une pluie battante, fumant cigarette sur cigarette. quand mon paquet fut complètement vide, je retournai à l'entrée. La fin du concert était proche. Je partis à la recherche d'un taxi et donnai au chauffeur la consigne de m'attendre. Je dévisageais toutes les femmes qui une à une quittaient le thé‚tre, au point de susciter l'effroi, par la seule vertu de ce visage désarticulé qui s'avançait, inquisiteur, dans la nuit.
    Lorsqu'elle apparut enfin, elle était au bras d'un homme de mon ‚ge.
    Sa prestance, sa probable bonne éducation ne parvenaient pas à dissimuler un empressement que Clémence semblait vouloir repousser, pour le moment, en évitant toutefois l'offense d'un refus définitif. Elle était donc libre, puisque courtisée. L'homme semblait déployer beaucoup d'énergie
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