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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers
Autoren: Marc Dugain
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Chaumontel s'approcha, un verre à la main, se délectant de la nouvelle dont il retardait l'annonce à plaisir
    - Mon neveu, tu as une lettre de Clemenceau.
    Satisfait de son effet, il poursuivit - Une lettre du Tigre lui-même!
    Je me demandai ce que le président du
    Conseil pouvait écrire à un officier qu'on s'apprêtait à réintégrer dans un bureau d'études, une soupente qui recevait la lumière naturelle trois heures par jour.
    Je pris la lettre et la lus à haute voix. Chacun retenait son souffle.
    L'en-tête était bien celui du président du Conseil. Le style était bien celui d'une haute autorité. La première nouvelle était qu'on allait me faire chevalier de la Légion d'honneur. La seconde, qu'on m'avait retenu pour figurer dans une délégation de grands blessés français qui seraient présentés aux chefs d'…tat qui allaient signer le traité de paix à
    Versailles.
    Je savais que ce moment resterait à jamais grand dans ma mémoire et j'en éprouvais une grande fierté. Je venais de passer en un instant du bureau d'études au traité de paix de la guerre mondiale. Ce bref passage dans l'histoire de mon pays résonnait comme la reconnaissance attendue de notre sacrifice.
    L'événement fut fêté tard dans la nuit, comme une réussite au baccalauréat.
    Toute la famille m'entourait, me choyait comme un enfant prodigue. Cette chaleur m'apporta un réconfort dont je commençais seulement à m'avouer la nécessité. Je craignais que ma mère ne vienne g‚ter cette merveilleuse soirée par une de ces phrases stupides dont elle avait le secret, mais il n'en fut rien.
    Le lendemain, je demandai à ma cousine de m'accompagner jusqu'à mon appartement, o˘ je souhaitais récupérer des affaires civiles. Sa beauté un peu espiègle me servait de caution pour traverser Paris. Je l'utilisais comme app‚t pour détourner les regards de moi. Elle se prêtait à ce jeu avec beaucoup de complaisance, jusqu'à créer un doute sur la vraie nature de notre relation en se serrant contre moi dans le tramway.
    Personne n'avait pénétré dans cet appartement depuis cette nuit d'ao˚t 1914
    o˘ la rencontre avec Clémence m'avait amené à retarder mon départ.
    L'entrée était toujours aussi sombre. La concierge nous tournait le dos et j'en profitai pour allonger le pas en soulevant Adèle, agrippée à mon épaule. Cet effort me tournait la tête. Mon corps se plaisait à me rappeler l'oubli dans lequel les années de Val-de-Gr‚ce l'avaient plongé. Prétextant le désordre et la saleté de cinq années d'absence, je demandai à Adèle de me laisser pénétrer seul dans l'appartement.

    Je me dirigeai directement vers la chambre, sans un regard pour les autres pièces. La fenêtre ,,était restée entrouverte, la brise attirant le rideau transparent par de petites aspirations irrégulières. Le lit était toujours défait. Je cherchai dans le mouvement des draps un dessin qui me prouv‚t qu'elle était revenue, qu'elle avait séjourné
    dans cette pièce pendant mon absence. Je scrutai le moindre recoin en quête d'une lettre, d'un mot d'un bout de papier griffonné, de n'importe quoi.
    Elle n'avait pas même rabattu la couverture. J'y voyais le signe d'un départ précipité par la culpabilité, à la lumière du jour.
    Je m'assis au bord du lit et me mis à pleurer. Adèle entra dans la pièce, sur la pointe des pieds, comme si elle craignait de me réveiller. Elle posa ses mains sur ma tête et, sans que jamais son regard ait croisé mes larmes, nous repartîmes pour Nogent.
    Sur le chemin du retour, Adèle tenta mille diversions pour m'arracher à ma torpeur, puis elle me parla de son prétendant, de ses doutes sur ses sentiments. Je compris que j'étais devenu une sorte de confident et que ma difficulté à parler me prédisposait à écouter les autres.
    Enfin, comme si j'étais un homme de grande expérience, et bien que ce ne f˚t pas là le genre de conversation naturel entre un homme et une jeune fille, elle m'interrogea sur les sentiments amoureux, sur la vie quotidienne d'un couple et posa d'autres questions dont je ne connaissais pas la réponse. Pour elle, j'étais un homme de trente ans. Mais j'étais resté cinq ans sous l'éteignoir.
    Ma joie de revoir Penanster et Weil fut plus forte que celle d'être convié
    à un événement his
    torique. Je reconnus deux autres camarades du Val-de-Gr‚ce que j'avais croisés à plusieurs reprises à l'étage des simples soldats. Une voiture militaire
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