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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers
Autoren: Marc Dugain
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pratiquement rétréci de moitié, m'explique
    - Mo... mon lieutenant, un ardennais entier, c'est lui qui a tapé. Une, une ruade, mon lieutenant.
    - quel est le con qui a eu l'idée d'amener un étalon ici? Depuis quand réquisitionne-t-on des entiers d'une tonne sans leur couper les balloches?
    Je m'approche du gars. Un filet de sang coule de son oreille jusqu'au cou.
    Voilà le premier tué de ma section, un gamin éventré par un ardennais. Un petit paysan qui meurt brisé par un cheval. Son regard devient fixe, sa tête retombe sur le côté, les lèvres entrouvertes. J'ôte ma casquette et reste quelques secondes silencieux. Je demande à Chabert d'aller chercher l'aumônier du régiment. Ce petit paysan était certainement catholique.
    La rentrée des classes est terminée.
    Je me suis réveillé à l'aube. Le camp dort. Dans quarante-cinq minutes, on sonnera le rassemblement, mais pour l'instant rien ne bouge. On n'entend que le cliquetis de la brise matinale dans la grosse toile des tentes de ravitaillement. Je me dirige tranquillement vers les écuries aménagées dans les communs d'un presbytère.
    Dans la pénombre, on ne voit que des croupes de chevaux de toutes les robes: alezanes, gris pommelé, noires, baies. Des demi sang, des selles, des traits, tout ce qui, des fermes aux ch‚teaux, a pu être réquisitionné
    en quarante-huit heures. Les palefreniers avisés la veille m'ont tout préparé. La selle et le filet ont
    été disposés sur un tréteau de fortune. Le cheval a été étrillé et brossé
    au petit matin. C'est un bai brun avec trois balzanes. Il a un bon oeil avec le contour dépigmenté, ça lui donne un air espiègle. Les deux souslieutenants arrivent, tirés à quatre épingles.
    Je me demande dans quelle section le commandant a déniché ces deux-là.
    J'espère seulement qu'ils tiennent en selle. J'ai déjà eu un mort par éventration. Je leur rappelle qu'il s'agit d'une reconnaissance, pas d'une chasse à courre. Nous avons une bonne quinzaine de kilomètres à parcourir, et je crois qu'il serait bon que nous soyons de retour avant midi. Les Allemands ne sont plus très loin de l'autre rive.
    Nous suivons un chemin de halage qui longe la Meuse. Le soleil est sorti d'une couche de nuages argentés et commence à faire sentir sa br˚lure. La cloche d'une église, au loin, sonne sept coups. Des matins comme ça, j'en ai connu des centaines avec mon père et mon grand-père l'humidité du sol qui renvoie des odeurs de mousse et de champignons, la lumière filtrée par les feuilles, la campagne au petit matin, et rien que le bruit des sabots des chevaux et le cliquetis de leur harnachement. Les deux sous-lieutenants suivent, emmêlés dans leurs rênes, les pointes de pieds enfoncées dans leurs étriers. Au moindre coup de feu, on les retrouverait sur les oreilles de leurs montures.
    Mon esprit divague, je le laisse dériver. J'imagine Clémence à mes côtés, allongée contre moi au bord d'un fleuve. J'aurais d˚ lui parler davan tage.
    C'est trop tard maintenant. Au retour, je lui dirai... Elle s'est installée en moi.
    Je ne crois pas en Dieu, mais cela ne m'empêche pas de penser qu'on a une bonne étoile, et je compte sur la mienne. Certains hommes rencontrent la mort avant d'autres, et je crois que l'homme qui réfléchit sur la mort l'éloigne. Comme si ce dialogue et cette vigilance tenaient l'ennemi en respect. A Liorac, vivait une vieille guérisseuse qu'on venait consulter de loin; ses remèdes étaient aussi efficaces que son odeur mauvaise. Elle se targuait de dons de voyance et disait toujours à ceux qui la consultaient que leur destin dépendait de celui de leurs morts qui veillait sur eux. Et comme elle connaissait tout le monde à vingt kilomètres à la ronde, elle plaignait ceux dont elle savait que leur ascendance n'était peuplée que de mauvais morts. Je m'étais toujours convaincu que celui qui veillait sur moi, c'était mon arrière-grandpère, mort à quatre-vingt-dix-huit ans en ouvrant une deuxième bouteille de pécharmant pour se consoler de sa décision, prise la veille, d'arrêter le tabac. Avec un aÔeul pareil, je ne peux pas mourir à la guerre.
    On approche de la rive. Mes deux hommes discutent. Je leur fais signe de se taire. A cet
    endroit, la Meuse se resserre. C'est là qu'il faudra que les régiments de première ligne traversent, ce soir ou demain. Je vais faire un relevé, prendre des cotes. Je cherche dans mes fontes un cahier et un crayon.
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