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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans
Autoren: Jean Grangeot
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compagnonnique, sans oublier de passer avant
chez nous pour nous habiller comme il se doit.
    — Approuvé, trancha Blois La Science. Faisons honneur
au futur compagnon. Je passe voir La Nanette et on se retrouve ici dans un
court moment. Le Nantais, accompagne-moi, tu demeures à côté.
    La salle se vida rapidement. Au soleil, les cristaux de
neige scintillaient. Des femmes, le visage caché par des foulards sombres,
balayaient devant leur porte. Les rares passants marchaient à petits pas
comptés, ayant peur de glisser dans la grande rue en pente. Blois La Science et
Le Nantais longèrent en silence le bord du Cher pour gagner la rue des Tanneurs.
Le nouveau père retint un instant par le bras son compagnon pour lui dire à
voix basse :
    — L’arrivée de cet enfant me comble de joie ; mais
je voulais te parler de mes soucis.
    — Je t’écoute frangin.
    — Ceci restera entre nous. Voilà. Tu dois savoir que je
me suis marié civilement à Cormeray, le pays de Nanette. Je lui avais promis
que nous passerions un jour par l’Église. Et puis le temps s’est écoulé. Elle
ne me l’a pas redemandé attendu qu’elle sait ce que je pense des bondieuseries.
Seulement, ce mioche elle voudra le faire baptiser ; et comme tu t’en
doutes, le curé ne peut le faire qu’à condition que les parents soient mariés
religieusement. Alors que faire ? Tu me vois en train de foutre un genou
dans un confessionnal et raconter un tas de balivernes au rastichon [1]  ?
Pour l’instant elle ne bouge pas du lit ; mais quand elle se lèvera…
L’orage éclatera.
    — Laisse venir ce moment. Quand elle t’en parlera, tu
me laisseras faire.
    — Que vas-tu lui raconter ? Elle a une tête de
Solognote et c’t’espèce de vicaire viendra la voir tous les jours pendant qu’on
sera sur le chantier du château.
    — Bien sûr, mais je te dis que je trouverai des
arguments pour qu’elle oublie ça.
    — Et puis, autre chose. Nous sommes des patrons, nos
clientèles sont semblables. Nous travaillons pour le château et toutes les
maisons bourgeoises. Ne pas passer par l’Église ce sera nous faire du
tort ; les gens sont butés. L’Eglise est toute puissante. Ils n’admettent
pas que nous puissions voir les choses différemment. Ce que j’ai fait, ce que
tu as fait, toi le Nantais, toute notre garce de vie, ce n’est pas eux qui
l’ont supporté. Quand, le soir, je m’esquintais les yeux sur mes livres,
éclairés par un bout de chandelle planté entre trois clous, il fallait du
courage, de la volonté. J’ai gardé les idées de mon père. Ce serait faire
injure à son souvenir que de me laisser mener comme un mouton.
    — Et puis, frangin, je pense également à l’exemple que
tu donnes à ton fils. Même s’il ne s’en rend pas compte aujourd’hui, un jour il
sera capable de penser et juger. À chacun ses croyances et le temps pour chaque
chose. Ne te caille pas le sang. Allons nous habiller et déclare-le comme un
bon républicain doit le faire.
    Les deux hommes se séparèrent contents une fois de plus
d’être en parfait accord.
    Les compagnons, dans leur costume de fête, se retrouvèrent
devant chez Bodin. Blois La Science organisa la marche. Le Nantais fit le
rouleur, Blois se mit entre les deux colonnes de compagnons. Ils avaient tous
fière allure dans ce défilé. Grandes cannes en main, couleurs flottantes au
vent attachées au chapeau haut-de-forme ou à la boutonnière, suivant les
familles ou les grades compagnonniques. Tout Saint-Aignan se tenait sur les pas
de portes. Les charpentiers portaient un costume de velours bleu, le pantalon à
la hussarde serré en bas dans des demi-bottes. Les compagnons plâtriers et
tailleurs de pierre en velours blanc à côtes ; Poitevin, le maréchal, en
velours noir.
    Les gosses criaient de joie ; des chiens aboyaient ;
quelques passants jetaient un œil puis haussaient les épaules et rentraient
chez eux en faisant, de rage, claquer leur porte. Un gendarme fronça les
sourcils et fit la moue. Un employé de mairie souleva l’angle d’un rideau et
regarda par la fenêtre de son bureau ce cortège qu’il prit pour un défilé des
gens d’un cirque.
    Jamais la déclaration d’un enfant ne s’était passée ainsi.
    Blois La Science entra dans le hall et monta au premier
étage accompagné de deux témoins.
    Il déclara sur le registre des naissances, folio 88, qu’il
était le père de Adolphe Bernardeau né le 5 décembre 1867, à sept
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