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Kommandos de femmes

Kommandos de femmes

Titel: Kommandos de femmes
Autoren: Christian Bernadac
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quant à maman, je ne puis en parler sans souffrir, elle ne peut plus rien prendre. Elle me donne sa ration. Mais maintenant, moi-même, je ne peux presque plus rien avaler. Tout m’écœure. D’ailleurs, lorsque la soupe n’est pas venue, cela nous laisse indifférentes. Quelqu’un m’a dit que nous étions au printemps. Est-ce possible qu’il existe encore le printemps ? Où se cache-t-il donc ? Ici il n’y en a pas. Il reste le privilège de nos campagnes de France et de tous les rêves d’espérance qu’il apporte. Pas non plus un bourgeon, pas non plus un arbre, pas une fleur, pas une couleur agréable à l’œil. Ici, rien que de la grisaille, du mâchefer. Tout est sale, tout est terne, tout se putréfie. La seule couleur vive que l’on voit journellement, c’est la flamme orange qui sort de la cheminée du crématoire… entourée d’une épaisse fumée noire et poisseuse qui vous prend à la gorge et vous colle à la peau. Près du crématoire, des prisonniers piquent les cadavres à l’aide d’une grande fourche pour les jeter dans sa gueule béante.
    Pourtant des rumeurs nous arrivent par-delà les barbelés.
    — Les Anglais sont très proches. J’ai tellement entendu cette chansonnette que je n’y crois plus. Fini de me bercer de vains espoirs…
    Les jours continuent leur marche lente.
    Maintenant, le camp des hommes a été ouvert et c’est à présent un camp mixte, mais la nudité de ceux qui meurent près de nous nous laisse totalement indifférentes. Tirant parti du moindre fait nouveau pour meubler notre inaction, je regarde ces hommes, mais d’un œil éteint que leur nudité laisse sans réaction.
    Près de moi se trouve une femme marseillaise, petite brune toute ridée que je soupçonne fort, d’après certains propos, d’avoir été arrêtée pour marché noir ; enfin elle endure les mêmes souffrances que nous.
    Un jour elle m’avait dit avoir cinquante ans et que son mari avait été arrêté également. Mais, bon Dieu ! qu’elle paraît vieille ! Au moins soixante-dix ans. Il est vrai qu’elle n’a rien à m’envier. J’ai vraiment l’air d’une petite vieille, petite vieille bien sale.
    Soudain un homme grand, et d’une maigreur affreuse, s’avance, chancelant et s’écrie d’une voix cassée :
    — Marcelle ? Tu ne t’appellerais pas Marcelle ?
    — Mon Dieu, fait la femme, Georges, ce n’est pas possible ! C’est toi ? Ici ?
    — Ben tu y es bien toi !
    Et moi, m’accrochant à ces instants, j’écoute la suite n’en perdant pas une miette.
    — Oh Georges ! Tu n’es pas mort, Dieu merci, mais comme tu as changé !
    Et lui, très indifférent lui répond :
    — Parce que tu crois que t’es jojo ?
    Mais sans avoir l’air d’entendre, elle poursuit son rêve :
    — Tu verras, lorsque nous sortirons d’ici, nous aurons une belle vie !
    — T’es pas un peu folle non ? Continuer à vivre avec un épouvantail comme ça ? Des clous ! J’en prendrai une jeune.
    Comme piquée par un essaim de guêpes, la femme laisse tomber son ton larmoyant, et donnant le champ libre à sa colère, elle l’apostrophe à son tour :
    — Parce que tu crois qu’une jeunesse voudra encore d’un vieux schnock comme toi. Tu n’es qu’un paumé, un impuissant. Monsieur se fait de drôles d’illusions. Va donc, eh, affreux !
    C’est tragique de voir comment des êtres peuvent se déchirer. Pourtant, moi, je trouvais ça marrant comme tout, j’avais un sourire béat, qui me fendait la bouche d’une oreille à l’autre, et je me régalais de cette séance de Guignol.
    Ce n’est pas que je me réjouisse du malheur des autres, mais les distractions sont si rares. Me prenant soudain à témoin elle me dit :
    — Tu as entendu ce cochon, comme il m’a traitée ?
    — Bah ! t’en fais pas, il déraille !
    — Dis donc, morveuse, de quoi te mêles-tu ? Tu le connais pour parler comme ça ? Et puis pourquoi tu ris ?
    Alors là, je restais ahurie devant tant de bêtise.
    — Dis donc, ma vieille, t’as pas bientôt fini de me casser les pieds avec tes histoires de fous ? Tu veux mon avis, et tu m’engueules, ma parole t’es cinglée.
    — Moi, je peux dire que c’est un cochon, mais c’est pas à toi de dire qu’il déconne !
    — Fous-moi la paix, il y a pas mal de temps que je me suis aperçue que t’es une emmerdeuse. Salut ! Va pleurer dans ta cour.
    Diable, il y a fort longtemps que je n’avais pas parlé
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