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Kommandos de femmes

Kommandos de femmes

Titel: Kommandos de femmes
Autoren: Christian Bernadac
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Il faut creuser d’autres tranchées. Des cadavres, des cadavres partout. Ils envahissent tout. On meurt dans n’importe quel coin, dans toutes les positions, sur le dos, sur le ventre, les fesses en l’air, en chien de fusil ; les peaux transparentes laissent voir le squelette dans ses moindres détails. À chaque pas on bute sur une morte. Alors on l’enjambe, l’air indifférent. Ah ! camp maudit ! Odeurs fétides, puanteur douceâtre et écœurante des corps en putréfaction. Sûr qu’on y laissera toutes nos os si les Alliés n’arrivent pas vite, très vite.
    Mais quand ? Mais quand ?
    Maintenant, C’est le désespoir qui nous gagne ; l'espérance d’une libération proche nous fuit. Nous sommes demeurées imperméables à toute tentative d’évasion morale. Les coups sourds, répétés, les bruits d’avions nous laisseront maintenant gentiment amorphes.
    Maman a de plus en plus mauvaise mine ; le teint est cireux et cela m’attriste profondément. Elle flotte dans sa robe rayée. Elle ne tient debout que par miracle. Quant à moi, je ne me sens pas tellement florissante de santé. Quand je me regarde, je me fais peur toute seule.
    Et cette soif qui me dévore depuis des jours et des jours, sans pouvoir l’assouvir. Je connais la faim, c’est pénible ; on a l’impression que l’estomac fait des nœuds, qu’il se tord sur lui-même n’ayant rien à broyer… Mais la soif, cette soif atroce qui ne vous lâche pas. J’ai l’impression que ma langue a doublé de volume. Les parois du palais sont râpeuses et me brûlent ; je ne peux plus saliver et ça me donne une sorte de délire. Je marche parmi des régiments de bouteilles. Là, de jolies canettes – bière glacée – d’où s’échappe une mousse épaisse et blanche glissant doucement le long du goulot. Ici des verres de limonade dont la paroi est toute embuée de fraîcheur ; voici encore des cruches mises à rafraîchir, sous une fontaine et dont l’eau débordante éclabousse, en millions de petites gouttes brillantes comme du cristal, la pierre de la margelle. C’est affreux. Je m’y vois. J’y suis. Hélas ! le rêve ne dure pas. Pas la moindre goutte d’eau ! Tant pis ! coûte que coûte il me faut boire. Boire n’importe quoi, mais boire, sinon je vais en crever.
    J’ai trouvé, pour étancher cette soif atroce, un coin beaucoup plus rapproché que le bassin, le long de la baraque des cabinets coule une petite rigole ; je recueille l’eau au creux de ma main avec une infinie patience. À quoi bon chercher d’où provient cette eau et pourquoi elle a une telle odeur. Boire ! Boire, voilà tout ce qui importe.
    Aujourd’hui, notre attention a quand même été éveillée par le vrombissement intense des avions. Levant la tête, on les a vus, assez haut, mais il y en avait un nombre incalculable ? ou est-ce moi qui vois double ? Même ces messieurs ont commencé à bouger et s’inquiéter. Malgré mon air idiot et ma vue basse, je m’en suis aperçue… Une chose affreuse m’arrive. Jusque-là, j’y avais plus ou moins coupé. J’ai chopé la dysenterie. Je sais trop ce que cela veut dire. Je suis bel et bien foutue ! Et que les cabinets sont loin. Je dois faire des prouesses de vitesse pour y arriver avant la catastrophe. Ah ! non ! tout mais pas ça. J’aurais trop honte de faire en route. Et pourtant, c’est inévitable.
    Ici, pas de manières. Les toilettes sont en plein air. Une simple cloison avec, de chaque côté, deux petites planches percées chacune de cinq trous. L’air qui se dégage de cet endroit se sent à quinze mètres aux alentours. C’est affreux ce que ça vous prend à la gorge.
    La plaie, c’est que la plupart des femmes atteintes de dysenterie n’arrivent jamais jusque-là. Malades, ne sentant plus, elles évacuent debout. Là où elles se trouvent. Plus personne ici ne porte de pantalon et notre corps est glacé. Il faut faire attention où l’on pose les pieds et ce dans une circonférence de huit à dix mètres. Bah ! qu’importe ! Nous avons perdu toute pudeur et notre dignité est restée bien loin derrière nous. Aujourd’hui encore, dans le block, cinq femmes sont mortes de dysenterie foudroyante. Elles se vidaient complètement sous elles, sans pouvoir se lever.
    Mon Dieu ! Quelle ordure cette baraque ! Cette odeur atroce vous met le cœur au bord des lèvres. Tout cela devient intenable et je me sens dépérir. Je suis d’une faiblesse extrême,
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