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Kommandos de femmes

Kommandos de femmes

Titel: Kommandos de femmes
Autoren: Christian Bernadac
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autant, cette bourrique m’a fait perdre le peu de force qui me reste.
    Aujourd’hui, un Belge est venu se réfugier dans notre block. Il est couvert de blessures, il nous a montré son dos, ce n’est qu’une plaie, il a également un trou à la cuisse : d’une voix éteinte, et le souffle rauque, il nous raconte son effroyable aventure :
    — J’avais la dysenterie, dit-il, et moitié dans le coma les fossoyeurs m’ont cru claqué, ils ont fauché mes godasses puis ils m’ont attaché les chevilles avec une corde, comme c’est l’habitude ici, et ils ont dû me traîner tout nu jusqu’au tas de cadavres.
    — Alors, qu’est-ce que tu as fait ?
    — Sur le moment rien, mais soudain j’étouffais, impossible de trouver de l’air, j’étais si faible que je n’arrivais pas à trouver où je pouvais être. Une douleur affreuse me galvanisa en quelque sorte et je m’aperçus que j’étais sur un tas de cadavres et qu’un « fossoyeur » m’avait piqué avec sa fourche pour me jeter au feu.
    — Ben mon vieux !
    — Crevant de trouille, je trouvais assez d’énergie pour me sortir de là sous l’œil ahuri du gars qui restait la fourche en l’air, les yeux ronds et stupides. Ça, je peux vous dire que je l’ai échappé belle et j’en suis encore à me demander où j’ai puisé la force de détaler comme un lapin.
    Oui, c’est vrai que nous vivons des heures atroces, et j’ai peur que, si un jour, nous avons le bonheur de rentrer, nous ne puissions jamais oublier et d’avoir en nous cette haine indéracinable envers ceux qui nous ont tant martyrisés.
    Pour moi, je crois que mon compte est bon ! Je me sens de plus en plus mal, j’ai de violents maux de tête, des envies de vomir continuelles. Pour la dernière fois, peut-être, je m’oblige à aller aux cabinets. Mais Dieu que c’est loin ! et, pourrais-je en revenir avant l’appel ?
    Il me semble que cela fait des heures que je suis partie de la baraque. De loin, je crois « les » voir alignées pour l’appel, mais peut-être est-ce une vision ? Je voudrais aller plus vite, mais mes jambes sont en coton et me refusent tout service.
    Deux fois déjà je suis tombée de faiblesse, dans la boue et les immondices. Chaque fois je me relève de plus en plus péniblement.
    Ah ! non ! je ne veux pas « crever » parmi les excréments, si je ne me relève pas, les S.S. vont me voir et m’achever, ça c’est sûr. Il faut que je marche. Il le faut. Je ne suis pourtant pas si loin, mais la distance me paraît immense, infranchissable. Oh qu’il doit faire bon s’endormir.
    Debout, je reste chancelante comme une femme ivre, soudain tout devient noir autour de moi, plus de ciel, plus de baraque. Rien que la nuit. Aveugle ! Je suis aveugle ! Je sens la sueur ruisseler sur mon visage, les deux mains en avant j’essaie d’avancer, mais je cœur me lâche et soudain, prise de panique, je hurle en m’écroulant à terre :
    — « Maman, maman sauve-moi ! Je vais mourir ! Viens me chercher ! Je veux passer dans tes bras ! »
    Et puis, plus rien, rien que le néant.
    J’avais toujours entendu dire, et cela avait frappé mes jeunes années, que les mourants, aux portes de l’éternité, revoyaient les actes les plus importants de leur vie, tout comme si un film se déroulait. Est-ce vraiment exact ? Je ne sais. Toujours est-il que je revois mon enfance. Les beaux jours que j’eus ; que j’étais heureuse parmi les miens ! Je revois mon père, sévère certes, mais si gentil, jamais une taloche, c’était lui qui nous donnait souvent une pièce pour aller au cinéma ; et mes diables de frères et sœur. Quelles peignées on s’est flanqué avec le plus grand, les deux autres enfants étaient trop jeunes à mon gré, il fallait toujours que je m’occupe d’eux. Mais comme je les aimais bien tous.
    Dans mon délire, il me revient en mémoire une poésie, que je récitais à maman lorsque j’étais petite, je crois que ça disait :
    Tu es belle ma mère,
    Comme un pain de froment
    Et dans mes yeux d’enfant
    Le monde se tient à l’aise…
    Bizarre quand même que, par moment, je redevienne tout à fait lucide. C’est ma jeunesse heureuse qui ne veut pas mourir, ce sont mes vingt ans qui se refusent à une telle extrémité, et la ronde de mes souvenirs repart de plus belle, je me revois encore, clamant à travers la maison :
    Tu sens bon la lavande,
    La cannelle et le lait,
    Ton cœur candide et
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