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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime
Autoren: Michel Tournier
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la conjoncture. On en fait un fonctionnaire en lui inculquant – ce n’est pas difficile – que l’obéissance aveugle est la seule vertu qu’on attend de lui. On lui fait subir une petite opération chirurgicale de nature purement verbale : l’ablation du mot « non ». C’est terminé : faites chauffer les crématoires !
     
    Personne n’est moins qualifié pour juger une œuvre que son propre auteur. Il est évident que la valeur d’une œuvre – quelle qu’elle soit – se situe quelque part entre le zéro et l’infini. Eh bien, ce n’est justement pas là que son auteur la voit, mais tantôt au niveau zéro, tantôt au niveau infini.
     
    Ivan, quatre ans, adore dessiner. Il reproduit des maisons, des arbres, des animaux. J’entreprends de lui apprendre à écrire. Je lui donne des lettres à recopier. Je m’aperçois qu’il n’ écrit pas ces lettres, il les dessine scrupuleusement, comme des objets extérieurs. Je m’avise pour la première fois de la différence essentielle qui sépare dessiner et écrire. Et c’est vrai qu’à l’inverse, j’écris très couramment, mais je suis incapable de dessiner. Peut-être la calligraphie efface-t-elle cette différence ?
     
    Comme beaucoup d’écrivains, Goethe avait toujours sur sa table de nuit de quoi noter rapidement l’idée fugitive venue la nuit et à coup sûr oubliée le matin. Or un matin, il s’éveille avec le souvenir très vif d’une idée lumineuse et de première importance qu’il a notée au cours d’une brève insomnie. Quelle n’est pas sa perplexité en ne trouvant sur son carnet qu’un gros trait horizontal ? Qu’a-t-il voulu signifier par là ? Il ne l’a jamais su.
     
    J’entends un vieux cap-hornier évoquer ses souvenirs de mousse. Il est amusant de comparer ce qu’il raconte des albatros avec le fameux poème de Baudelaire. Ces oiseaux gigantesques au bec redoutable suivaient en effet les navires, mais c’était pour se régaler des ordures qu’ils rejetaient chaque jour à la mer. Les matelots connaissaient l’horrible fin réservée à celui d’entre eux qui tomberait à la mer. Avant qu’on ait pu le repêcher, une nuée d’albatros s’abattrait sur lui et lui déchiqueterait toute la tête après lui avoir crevé les yeux. Les hommes se vengeaient de cette menace en capturant des albatros à l’aide d’une corde, d’un hameçon et d’un appas. Puis ils les soumettaient à toutes sortes de tortures. Ce que Baudelaire – qui a sans doute été témoin de ces scènes – édulcore dans les vers suivants :
    L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
    L’autre mime en boitant l’infirme qui volait.
    Tu parles !
     
    En France, au Canada, au Japon, en Égypte, j’ai accompagné Édouard Boubat, et j’ai assisté émerveillé au miracle : ces personnages, ces scènes, ces paysages qui surgissaient sous ses pas et qui lui ressemblaient. Il n’avait plus qu’à prendre la photo. Un jour il m’a dit : « La photographie est une chose farouche, légère, volatile. Il suffirait à mes côtés d’un compagnon grossier et indiscret pour que mes images ne se montrent plus à moi. » J’ai été fier de cet éloge.
     
    Les Grecs distinguaient trois parties en l’homme : le Noûs (raison), le Thumos (cœur), l ’Epithumetikon (désir). La grande affaire – oubliée pendant des siècles – c’est ce Thumos qui vient s’insérer entre la tête raisonneuse et le ventre-sexe plein de borborygmes et d’érections. Le Thumos, c’est le sentiment, la passion, l’émotion, le courage, l’indignation, etc. C’est la seule partie creuse du corps, le thorax formant cage de résonance où le cœur bat son tam-tam joyeux ou inquiet. La philosophie chrétienne l’a longtemps ignoré, refoulant les passions dans le bas-fond méprisé de l’Epithumetikon. Sans doute est-ce au XVII e et au XVIII e  siècles les religions du sentiment qui l’ont réinventé jusqu’au jour où Marguerite-Marie Alacoque lui donna avec le Sacré-Cœur de Jésus sa forme populaire et imagée.
     
    Les ordinateurs présentent-ils un danger pour la société future ? Il y a peu de risques, je crois, que des ordinateurs plus intelligents que les hommes les plus doués en profitent pour prendre la direction des affaires du monde et réduisent l’homme en esclavage. Et d’ailleurs, s’il en était ainsi, ne vaudrait-il pas mieux en somme que le monde soit régenté par un robot, si ce robot est plus sage
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