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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime
Autoren: Michel Tournier
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à la gérontophilie « me regarderont », comme on dit à la campagne. Je sens venir le moment où, toujours prêt à dévorer les alouettes qui me tomberont toutes rôties dans le bec, je ne remuerai plus le petit doigt pour les attirer. Alors, bien sûr, elles risquent de se faire rares, mais basta  !
     
    Entre Noël et le jour de l’an, étrange semaine, parenthèse hors du temps, l’année passée est finie, l’année nouvelle n’a pas encore commencé. Peu s’en est fallu que je naisse dans ce curieux vide temporel. Je le regrette. Interprétation eschatologique de la « trêve des confiseurs ».
     
    Histoire d’un vampire. Comment enfant il découvre sa vocation. Plus tard il se fait ordonner prêtre pour pouvoir à tout moment en prononçant une seule phrase métamorphoser un verre de vin en verre de sang. Qu’il boit aussitôt avidement. Peut-on tenter une interprétation religieuse du cannibalisme ? Les naufragés du fameux radeau de La Méduse mangent les cadavres de leurs compagnons. Naguère un avion s’étant écrasé dans les Andes, les survivants se sont également nourris des tués. Je pose la question au théologien orthodoxe Olivier Clément : quelle différence avec l’eucharistie ? Il me répond : « C’est que le cannibale mange de la viande, c’est-à-dire de la chair morte, alors que dans l’eucharistie, c’est un corps vivant qui est mangé. »
     
    Jean Paulhan : Les gens gagnent à être connus. Ils y gagnent en mystère.
     
    Le directeur des ateliers de Coubertin me téléphone. Un hélicoptère vient de déposer dans ses ateliers le saint Michel de bronze de l’abbaye du Mont-Saint-Michel pour qu’il y soit restauré. Il y a environ cent ans qu’il est exposé à une centaine de mètres de haut à toutes les intempéries marines. Je me précipite. On me photographie faisant des mamours à « mon » saint. Je trouve cette énorme volaille dorée en assez bon état au total. Mais il est trop petit, compte tenu de la distance où se situent les visiteurs de l’abbaye. Ils le voient à peine. Il faudrait qu’il mesure au moins dix mètres. Dans son roman Sous le pied de l’archange, Roger Vercel rapporte que le bout de l’épée qu’il brandit est un paratonnerre, et qu’en cas d’orage la foudre se décharge sur la statue qui s’agite alors à grand bruit.
     
    Cheveux. La grande majorité des hommes les perdent plus ou moins vite au cours des ans. C’est affaire d’hormones masculines. Quelques-uns pourtant les gardent intacts, et cela leur donne un charme particulier assez ambigu. On sent bien qu’il y a du sexe là-dedans. L’homme mûr à la chevelure complète a quelque chose d’enfantin quels que soient son âge ou la virilité de son visage. Ou peut-être d’animal, comme si c’était non pas une chevelure, mais une toison d’ours ou de loup qu’il a sur la tête. Charme animal indiscutable, du même ordre que les yeux anormalement écartés.
     
    Vœux de Jean Cayrol qui m’écrit : « Que l’année nouvelle te donne ta bonne encre, noire et luisante. Tes personnages m’entraînent avec tes mots de soleil et d’or. »
     
    Cette nuit à la radio, je reconnais immédiatement l’accent bourguignon de mon vieux maître Gaston Bachelard. Il est malheureusement sans cesse interrompu par un petit crétin qui lui pose des questions insanes. Puis c’est l’annonce de fin : « Vous venez d’entendre un document de l’INA, un entretien datant de 1949 de Gaston Bachelard avec Michel Tournier. »
     
    Grand soleil, ciel bleu. La neige apporte sa puérile féerie au paysage. Parfois un grand froissement soyeux m’apprend qu’un tapis de neige glisse du toit.
    Cependant aux informations avalanche de guerres, massacres, famines, épidémies. La carapace d’égoïsme et d’inconscience qu’il nous faut pour continuer à vivre l’âme en paix ! La plus petite lueur de charité ou de solidarité humaine nous tuerait immédiatement, comme si la foudre nous tombait sur le cœur.
     
    Dans un journal, je publie un entretien imaginaire avec Daniel Defoe. Les créateurs de mythes meurent sans avoir eu connaissance de la postérité de leur œuvre. Sans doute Tirso de Molina – inventeur de Don Juan dans Le Trompeur de Séville (1620) – aurait-il été très surpris en voyant son héros animé par Molière et Mozart. Mon Daniel Defoe se récrit en prenant connaissance des « robinsonnades » issues de son roman Robinson Crusoé
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