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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime
Autoren: Michel Tournier
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merveilleusement avec mon prochain roman Hermine consacré au thème des vampires. Merveilleux métier qui tire profit des pires expériences !
     
    19 décembre. Trois anniversaires : Jean Genet, Édith Piaf, Michel Tournier. Je reçois des coups de téléphone – toujours totalement imprévisibles – l’un d’eux impossible à identifier. Une voix éplorée prononce mon nom plusieurs fois, puis plus rien. C’est totalement sinistre. Quand on parle de « chagrin d’amour » on n’envisage que celui qui aime sans être aimé. Mais qui dira l’amertume réciproque de celui qui est aimé, auquel quelqu’un est prêt à tout donner et qui n’a rien à donner en échange, sinon une vague pitié ? Qui dira l’amertume de cet immense gâchis, de cette indignité, de cette misère en face de la richesse de l’autre ?
     
    Petite douleur au côté gauche, à une dizaine de centimètres du nombril. En soi presque rien, mais quel symptôme ? Je sors aussitôt l’un des deux « autonus » que l’on possède d’Albert Dürer. C’est un dessin à la plume. De l’index droit il montre son flanc gauche. Il a écrit au-dessus : « où je montre du doigt, c’est là que j’ai mal. » On croit savoir qu’il est mort d’une inflammation de la rate, mort du spleen en quelque sorte. Il ne me déplairait pas de mourir moi aussi du spleen, le mal de Dürer.
     
    Mon voisin S.P. – trente-six ans – qui vit seul et vient de quitter son travail a l’air de couler à pic dans la dépression. Il me parle de se suicider. Je lui dis : « Avant de faire quoi que ce soit, viens m’en parler. – Non, parce que tel que je te connais, tu serais capable de me faire changer d’avis. » Il n’empêche. Quand je regarde par ma fenêtre la nuit, je vois sa fenêtre éternellement allumée. S’il fait cette bêtise, ce sera sous mon nez.
     
    Je relis avec ravissement Au Bonheur des dames d’Émile Zola. Je constate que son grand magasin est situé place Gaillon au coin de la rue de la Michodière et de la rue Saint-Augustin, vis-à-vis du restaurant Drouant des Goncourt. Zola était exclu de l’Académie Goncourt pour s’être présenté plusieurs fois – sans succès – à l’Académie française.
     
    Flânant au Quartier latin, je retrouve rue Hautefeuille le petit restaurant La Tourelle. C’était notre quartier général dans les années cinquante : Gilles Deleuze, Évelyne Rey, Claude Lanzmann, Karl Flinker. J’ai un élan pour aller y dîner, mais je renonce de peur de m’écrouler en larmes sur le bord d’une table.
     
    À propos du roman d’Andreï Makine Le Testament français (prix Goncourt 95) je note qu’il appartient à une famille très particulière, celle des écrivains qui n’écrivent pas dans leur langue maternelle. Il y a ainsi Adalbert von Chamisso, Français qui écrivait en allemand, Sophie Rostopchine, Russe qui écrivait en français, Kafka, Tchèque qui écrivait en allemand, Joseph Conrad, Polonais qui écrivait en anglais, Hector Bianchiotti, Argentin qui écrit en français, etc. Il y aurait une étude à faire de la langue de ces auteurs, une langue sans racines, apprise tardivement, synthétique en somme et parfaitement « imitée », mais qui sent toujours un peu l’artifice : c’est trop « fait ». On n’a aucune chance d’y trouver les géniales gaucheries qui font de Saint-Simon le plus grand styliste français.
     
    De plus en plus j’éprouve en changeant de position dans mon lit une euphorie musculaire brutale, proche de l’orgasme. C’est avec une intense volupté de tous mes muscles que je passe de côté droit au côté gauche, de la position dorsale à la position ventrale. C’est peut-être l’annonce de la mort. De même que la naissance s’accompagne d’une souffrance affreuse – aussi bien pour l’enfant que pour la mère – la mort serait provoquée par un coup de volupté d’une intensité insupportable dont la drogue et l’orgasme ne sont que de timides avant-goûts.
     
    Des enquêtes l’avaient signalé : les enfants trop gros se remarquent de plus en plus sur les plages. Mais la plupart s’en tirent assez bien : par la majesté. Obèses, mais majestueux. C’est presque toujours le cas du petit bébé. Ensuite cela devient plus difficile. Il y faut de la fraîcheur. La chair surabondante paraît irriguée de vie et même d’esprit. Le corps majestueux, c’est la chair transverbérée par l’esprit. Dans le cas
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