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Il fut un jour à Gorée

Il fut un jour à Gorée

Titel: Il fut un jour à Gorée
Autoren: Joseph N’Diaye
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êtres humains. Fréquemment, je reçois des écoliers du Sénégal venus sur les traces d’un passé trop souvent étouffé. Les enfants apprennent ainsi à connaître une histoire dont ils ignoraient tout. Les yeux grands ouverts, bouleversés, ils découvrent les cachots réservés aux captifs désobéissants, les grandes salles où étaient entassés les prisonniers attachés par le cou, l’escalier devant lequel se déroulait la vente…
    Alors, je me fais conteur. Je leur raconte le dramatique périple de la « traite négrière ». Je me sens un peu le grand-père de tous les gamins qui viennent ici et leurs questions me permettent d’expliquer comment, durant plus de trois siècles, des hommes ont traité d’autres hommes comme du bétail.
    Et moi-même, en parlant, en écrivant, je tente de comprendre. Mais faut-il trouver une autre raison à cette abomination que le racisme allié à la soif de l’or ?
    Cette histoire n’appartient pas seulement à l’Afrique, elle concerne l’humanité entière. Voilà pourquoi aujourd’hui je m’adresse à tous les enfants, à ceux d’Afrique, à ceux des Antilles, à ceux d’Europe.
    La tragédie de l’esclavage représente notre passé commun. Sur tous les continents, la mémoire est nécessaire pour construire l’avenir. On n’a jamais rien bâti sur l’oubli et le silence.
     
    Joseph N’D IAYE

I
L’ÎLE AUX ESCLAVES
    À douze ans, Ndioba aide souvent sa maman à confectionner la bouillie de mil. Ce matin, son grand frère est parti avec papa pêcher sur les eaux calmes du fleuve Sénégal, et il faut préparer le repas en attendant leur retour.
    Avec le lourd mortier, la fillette écrase consciencieusement les grains avant d’y ajouter le lait qui transforme la farine de céréale en une pâte onctueuse. Ensuite, maman verse dans la pâte blanche une sauce verte faite de feuilles et de baies. La bouillie prend alors des teintes chatoyantes et laisse éclater des odeurs piquantes qui ravissent la petite fille.
    Soudain, maman lève les yeux. À l’autre bout du village, une fumée claire monte vers le ciel. C’est une case qui brûle. Au même instant, des guerriers surgissent. Ils sont vêtus de pagnes multicolores et tiennent en main de gros bâtons qui crachent le feu en laissant éclater un bruit assourdissant. Les hommes restés au village veulent repousser ces envahisseurs, mais avec leurs couteaux et leurs harpons, que peuvent-ils contre de gros hâtons qui grondent comme le tonnerre ? Des hommes s’écroulent, les corps sont étendus, immobiles, et le sang rouge est avalé par la terre trop sèche.
    Le village entier est incendié. En quelques instants, il ne reste rien des huttes au toit de paille. Vite, les guerriers rassemblent les prisonniers. Ndioba serre très fort la main de sa maman. Où est papa ? Où est son frère ? Pourquoi ne sont-ils pas là pour défendre le village ? La petite fille ne veut pas pleurer. Pour se donner du courage, elle appelle son père et son grand frère…
    — Papa, viens me chercher ! Papa, libère-nous !
    Les guerriers attachent maintenant les femmes entre elles par la taille au moyen d’une longue chaîne. Et l’on se met en marche. La file interminable des captives avance dans le cliquetis sinistre des fers. Ce tintement abominable est celui de l’esclavage. Devant elles, les hommes attachés par le cou, les mains liées, forment une autre colonne. Et les coups de fouet zèbrent de rouge le dos de ceux qui marchent trop lentement.
    Pour la première fois, Ndioba quitte son village. Elle va pénétrer ces terres inconnues qui se situent au-delà du grand fleuve, plus loin même que les collines arides qui se dressent à l’horizon.
    Comme une longue traînée qui s’étire à travers la brousse, le sinistre cortège se dirige vers les rives de l’océan. Il faut marcher. Ne jamais s’arrêter. Les guerriers emportent comme du bétail ces femmes terrorisées qui étouffent leurs larmes pour ne pas éveiller la cruauté de leurs nouveaux maîtres. Ils traînent comme des animaux féroces ces hommes entravés qui enragent de ne pas pouvoir s’échapper.
    Petite halte la nuit. Et puis l’on repart au matin. On marche ainsi durant plusieurs jours. Les pieds de Ndioba sont en sang. Ils se sont écorchés sur les ronces de la savane. Ils se sont brûlés sur les sables du désert.
    Enfin, on arrive devant l’océan. Les eaux, plus larges encore que celles du fleuve, semblent noyer le
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