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Il fut un jour à Gorée

Il fut un jour à Gorée

Titel: Il fut un jour à Gorée
Autoren: Joseph N’Diaye
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imaginèrent une révolte contre les esclavagistes français. Ils résolurent de se diviser en trois groupes. Le premier était chargé de s’attaquer aux soldats et de s’emparer de leurs armes. Le deuxième devait dérober les poudres tandis que le troisième envahirait le village et massacrerait tous les Blancs à sa portée. Ainsi, devenus maîtres de l’île, les prisonniers auraient pu s’embarquer sur les chaloupes pour rejoindre le continent et la liberté. Mais un enfant prisonnier entendit les hommes préparer leur plan et s’en alla tout dévoiler aux gardiens… Les révoltés furent mis au fer et interrogés. Les deux chefs de la révolte ne nièrent rien, ils affirmèrent fièrement regretter seulement de ne pas être morts les armes à la main. Alors le châtiment s’abattit sur eux. Devant les captifs réunis, ils furent introduits dans une bouche de canon, on mit le feu aux poudres et les malheureux, transformés en boulets, furent déchiquetés par la déflagration.
    Pourquoi cette férocité ? Parce qu’aux Amériques, les grandes exploitations de coton, de sucre, de tabac ou de café avaient besoin de main-d’œuvre ! Des millions de Noirs allaient donc être sacrifiés pour la richesse des colons et le confort des sociétés occidentales. C’est ainsi que s’institua « le commerce triangulaire ». Triangulaire parce qu’il se déroulait en trois temps : les navires quittaient l’Europe, accostaient en Afrique et repartaient vers les Amériques. Un long périple qui durait un an et demi.
    En ce qui concerne la France, les bateaux partaient des grands ports comme Le Havre, Nantes, La Rochelle ou Bordeaux. Sur les quais, les caisses et les ballots s’entassaient, débarqués des long-courriers venus de l’autre côté des mers. Les négociants du royaume commerçaient avec le monde entier, armant des navires pour s’en aller quérir les richesses des terres lointaines. Les cités portuaires se développaient, cossues et flamboyantes, fières de leur prospérité.
    Et les trois-mâts prenaient la mer en direction de l’Afrique. En arrivant à Gorée, les artificiers du bord tiraient une salve de coups de canon, en salut respectueux au chef local. Le lendemain, Européens et Africains discutaient des prix et du nombre de captifs à emporter… Alors pouvait commencer le marché. Les « négriers », c’est-à-dire les trafiquants d’êtres humains, échangeaient la marchandise vivante contre un peu de laine, quelques ballots de coton, des fioles d’alcool, des caisses de fusils ou des poignées de bijoux en perles de verre. Et les cales des grands voiliers se remplissaient d’une cargaison humaine.
    Après avoir fait le plein, le bateau partait vers les Amériques pour une longue traversée qui pouvait durer trois mois. Arrivés à destination, les captifs étaient débarqués et vendus.
    Le bateau faisait alors voile pour la dernière étape. Il retournait en Europe, transportant cette fois des produits exotiques qui faisaient le bonheur des amateurs de café, des fumeurs de cigares ou des élégantes friandes de cotonnades.
    Le négrier, qui s’enrichissait rapidement à ce commerce triangulaire, n’avait pas l’impression d’être un monstre. Il exerçait une profession commerciale qui comportait ses risques, car le naufrage d’un de ses navires pouvait le ruiner. En fait, il exerçait son métier de négociant l’âme tranquille. Il faudra les Lumières du XVIII e siècle, juste avant la Révolution française, pour que certains esprits émettent quelques doutes. A-t-on vraiment le droit de traiter des hommes comme des choses ?
    Dans
Candide,
un conte philosophique publié en 1759, le grand écrivain Voltaire fait voyager son héros jusqu’au Surinam, la Guyane hollandaise en Amérique du Sud. Candide croise sur sa route un Noir auquel il manque un bras et une jambe… Et le pauvre homme explique : « Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. »
    Juste réflexion. Mais qui n’empêchait pas le racisme. Le mot n’existait pas encore à l’époque de Voltaire, mais le sentiment, lui, était extrêmement répandu. Il apparaissait normal que la « race blanche » domine les autres. Dans son
Essai sur les mœurs et l’esprit des nations,
Voltaire
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