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Il fut un jour à Gorée

Il fut un jour à Gorée

Titel: Il fut un jour à Gorée
Autoren: Joseph N’Diaye
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la bête.
     
    Les enfants posent toujours les questions fondamentales, celles que les adultes, sans doute, ne se posent plus. Et toujours revient la même interrogation, la plus angoissante : pourquoi séparait-on les enfants de leur mère ? Parce que c’était la meilleure façon d’obtenir ce que l’on voulait des femmes qui craignaient pour la vie de leurs petits. On les rendait ainsi plus dociles, plus obéissantes.
    Comment mes petits visiteurs, à Gorée, pourraient-ils rester indifférents devant le couloir étroit, sombre et humide réservé aux tout jeunes captifs ? Séparés de leurs parents, ces gamins survivaient tant bien que mal dans ce lieu d’abomination. Et s’ils mouraient, on les jetait à mer, lestés d’une pierre.
    La petite Elisabeth tente de deviner à quoi les enfants occupaient leur temps… Comment se représenter l’inimaginable ? « Ils devaient fredonner des chansons africaines et évoquer leur passé », hasarde la fillette.
    Avançons dans la visite de la maison. La cellule des hommes forme un carré de deux mètres soixante de côté. On entassait ici jusqu’à vingt adultes qui demeuraient sur place durant plusieurs mois… Comment pouvaient-ils tous entrer là-dedans ? Ils étaient serrés les uns contre les autres, adossés contre le mur, enchaînés.
    « Et pour aller aux toilettes ? » me demande Rachida. Ils appelaient un garde. Lorsque celui-ci le voulait bien, ils étaient conduits à l’extérieur. Au milieu de la chaîne qui les empêchait de s’enfuir, il y avait un lourd boulet que le captif devait porter pour se déplacer.
    « Ils ne se lavaient jamais ? » s’étonne Birago. Ma foi… La notion d’hygiène n’était pas très développée à l’époque. Les captifs étaient d’ailleurs tellement infestés de vermine que la première épidémie de peste qui a ravagé l’île en 1779 est partie de cette maison.
    Nous parvenons à la cellule où étaient « entreposées » les jeunes filles. Oui, on peut parler d’un entrepôt puisque les hommes et les femmes captifs n’étaient qu’une marchandise, celle que l’on appelait parfois « l’or noir ». Les jeunes filles étaient séparées des femmes pour des raisons financières : elles valaient plus cher ! Et comme elles étaient souvent très belles, les négriers se laissaient parfois séduire… Si elles se retrouvaient enceintes, elles étaient affranchies, c’est-à-dire rendues à la liberté. On a appelé ces esclaves affranchies les Signares, un mot dérivé de
Senhora
, qui veut dire Madame en portugais. Par la suite, le nom a un peu changé de sens. On a appelé « Signares » les métisses nées des rencontres entre marins européens et esclaves noires, et elles ont créé la caste des nobles à Gorée. Un peu comme aux Antilles françaises, mais là-bas on dit les Créoles.
    Voici maintenant la cellule des inaptes temporaires. « Ça veut dire quoi ? » demande Birago. Eh bien, la valeur d’un esclave dépendait de son poids. Un homme devait peser au minimum soixante kilos. S’il était trop fluet, on l’enfermait dans cette pièce pour l’engraisser comme une oie. On le gavait avec un haricot très farineux, qui fait grossir et que l’on appelle
niébé
au Sénégal, mais que les négriers désignaient sous le terme de « fève des marées ».
    Nous voilà arrivés à l’endroit où l’on entassait les récalcitrants, ceux qui refusaient de se soumettre. « C’est vraiment tout petit, on dirait presque une armoire », s’indigne Birago. Il s’agissait, en effet, de la punition la plus cruelle. Ici, pas d’aération, pas de lumière ! Une petite porte de fer munie de barreaux permettait à peine aux prisonniers de respirer.
    Enfin, nous atteignons les escaliers devant lesquels se déroulait la vente. En haut, sur le balcon de la maison, se tenaient l’acheteur et le négociant. Tous deux discutaient du prix de la « marchandise »… C’est à ce moment que le captif devenait véritablement un esclave. Désormais, il était en effet une marchandise, qui avait son prix. Comme un objet ou un animal domestique.
    Les esclaves étaient placés en colonnes et devaient avancer un par un. Des affranchis – c’est-à-dire des esclaves à qui l’on avait rendu la liberté ; c’était rare mais il y en avait – palpaient les muscles de l’homme proposé à la vente. Il fallait s’assurer de la valeur de la prochaine acquisition ! Parfois, on
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