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Il fut un jour à Gorée

Il fut un jour à Gorée

Titel: Il fut un jour à Gorée
Autoren: Joseph N’Diaye
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faisait monter l’esclave en haut des marches afin que les acheteurs puissent juger de plus près la qualité de l’article proposé. Des dents qui manquaient dans la mâchoire, une infection à l’œil, des jambes trop maigres diminuaient sa valeur. Et il fallait, d’un regard, détecter les signes d’ulcère où de gale. Bref, on cherchait une marchandise parfaite, capable en tout cas de supporter le long voyage vers les Amériques. Quant aux malades, aux vieillards ou aux enfants en bas âge, mieux valait les laisser mourir, car ils ne rapporteraient rien.
    Chaque ethnie d’Afrique avait son prix et sa spécialité. Les hommes du peuple yoruba étaient les plus appréciés. Venus du Nigeria et du Bénin, ils avaient la réputation d’être d’excellents « reproducteurs » : ils faisaient des enfants solides, disait-on. Du coup, pour le prix d’une seule tête, l’acheteur se procurait plusieurs esclaves pour l’avenir !
    La visite de la maison des Esclaves se termine sur « la porte du voyage sans retour », un couloir plongé dans l’obscurité avec, au bout, un porche qui ouvrait sur l’immensité de la mer… Une longue passerelle en bois de palmier menait jusqu’au bateau qui attendait un peu au large. Les esclaves devaient marcher jusqu’à l’extrémité de cette passerelle pour monter à bord du grand voilier qui les emporterait au bout du monde. À l’instant de quitter leur terre d’Afrique, sachant qu’un affreux destin les attendait ailleurs, certains tentaient de fuir. Ils se jetaient à l’eau, mais les gardiens les abattaient d’un coup de fusil. Et ceux qui en réchappaient étaient dévorés par les requins.
     
    En racontant ce que fut Gorée, en évoquant ce que fut l’esclavage, je ne m’adresse pas seulement à Birago, Rachida ou Élisabeth. Je voudrais que tous les enfants du monde pensent aux petits enlevés à leurs parents, aux gamins attachés les uns aux autres en de longues files… Imagine ton père et ta mère victimes de cet abominable commerce. Écoute la plainte qui venait aux lèvres des plus fragiles. Sois attentif à la révolte qui brûlait dans le cœur des rebelles. Comme les enfants d’Afrique, tu sentiras une brûlure en toi, celle de la douleur et de l’indignation.

II
L’ENFER DE LA TRAVERSÉE
    Ndioba reste enfermée avec d’autres enfants dans un recoin obscur de l’esclaverie de Gorée. Chaque jour, les gardiens leur apportent un plat de fèves, toujours le même. Les plus petits ont longtemps pleuré, mais ils ont fini par se taire, les yeux hagards, l’air abattu. Ils n’ont plus de larmes, jour après jour, ils s’enfoncent dans le néant. Ils se laissent mourir, lentement, inexorablement. Chaque nouvelle journée les voit plus faibles et plus immobiles.
    Les plus grands tentent de comprendre… Ils se souviennent de ce que l’on racontait au village. Les hommes blancs boivent le sang des enfants noirs, assure un garçon. C’est même pour ça qu’ils ont la peau de cette étrange teinte claire ! Un jour prochain, c’est sûr, on viendra les chercher pour leur voler ce sang rouge, leur force vitale, la marque des esprits qui courent dans leur corps. Ndioba tremble.
    On vient les chercher, en effet. Mais ce n’est pas pour leur prendre leur sang. On leur ordonne seulement de courir et de sauter devant un personnage joufflu vêtu d’un étrange costume qui semble fait de fils d’or étincelant sous le soleil. Et un bon sourire satisfait éclaire la face blafarde du gros bonhomme.
    On traîne maintenant Ndioba et les autres enfants vers un feu allumé un peu plus loin. Un matelot fait chauffer au rouge une barre métallique. C’est sans doute le Maître des flammes et la petite fille doit s’agenouiller devant lui. Une douleur violente dans le dos lui arrache un cri : Ndioba sent sa peau se déchirer sous la violence d’une griffe qui l’étreint et la transperce. Au fer rouge, on lui a imprimé sur sa peau noire la forme d’un trèfle, le signe de son propriétaire.
    Maintenant, les enfants serrés les uns contre les autres empruntent un long couloir sombre. Au bout, au-delà du porche, la lumière brille. Quand Ndioba franchit cette porte ouverte sur l’étendue bleue, elle aperçoit devant elle une longue passerelle dressée par-dessus la mer. De part et d’autre, des hommes armés forment deux interminables colonnes qui mènent jusqu’à un grand bateau aux voiles blanches. Un bateau si vaste qu’il semble
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