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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
Autoren: Erckmann-Chatrian
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à
Arcis-sur-Aube. On ne connaissait pas de plus honnêtes gens et de
plus aimés dans tous le pays.
    Je voyais, d’après ce que cette pauvre femme
me racontait, que Danton s’était perdu lui-même par sa trop grande
confiance ; car on peut bien penser qu’un homme de police
comme Robespierre, qui dans le Comité de salut public ne
s’inquiétait que de la police, des espionnages, des dénonciations
et des conspirations, – qu’il inventait souvent lui-même, – on peut
bien penser qu’un pareil être avait toujours trois ou quatre de ses
mouchards autour de Danton, pour lui rapporter ses paroles, ses
indignations et ses menaces.
    J’avais lu dans les gazettes que Danton
s’était engraissé pendant sa mission en Belgique, et je demandai
naturellement à cette personne, si Danton était riche. Elle me
répondit que la famille Danton était aisée avant comme après la
Révolution ; qu’on ne l’avait pas vue depuis dans un état
meilleur ou pire. C’est ce que je savais d’avance ; un homme
comme Chauvel avait l’œil beaucoup trop fin, il méprisait lui-même
beaucoup trop l’argent pour s’associer avec des filous.
    Voilà tout ce qui me revient de ces
choses ; et depuis j’ai toujours été convaincu que
Robespierre, Saint-Just, Couthon et toute cette race d’ambitieux
sans cœur, avaient couvert de boue la tombe de ce grand
homme ; qu’ils l’avaient calomnié bassement, chose du reste
assez facile à voir, puisque, s’ils avaient eu des preuves après la
mort des dantonistes, les gens de police qui couvraient la France
les auraient affichées partout. Et je suis sûr aussi que le seul
crime de Westermann, à leurs yeux, était d’avoir été reconnu par
Danton, à l’armée du Nord, comme un véritable homme de guerre, et
tout de suite élevé par lui du grade de simple commandant à celui
de général, en Vendée. Westermann, un des premiers citoyens à
l’attaque du château des Tuileries, le 10 août, pouvait soulever le
peuple en faveur de la justice et venger ses amis. Le plus simple
était de s’en débarrasser, malgré ses services et son
patriotisme : c’est ce que ces êtres vertueux avaient
fait.
    Enfin j’ai dit ce que je pense sur tout
cela.
    Les honnêtes gens chez qui j’étais me
retinrent jusqu’au lendemain à midi : je déjeunai, je dînai
chez eux, et puis le citoyen attela sa charrette et me conduisit
lui-même jusqu’à Vitry-le-Français. Jamais je n’ai trouvé d’homme
pareil ; aussi je m’en souviens et je dis à mes enfants de
s’en souvenir. Il s’appelait Lami, Jean-Pierre Lami. C’était un
vrai patriote, et qui me rendit courage, en m’assurant que ma fin
n’arriverait pas encore ; que j’en reviendrais pour sûr. Il me
dit cela d’un air tellement simple et naturel, que je repris
confiance. Du reste, il ne voulut pas recevoir un sou, et même il
fallut encore, à l’entrée de Vitry-le-Français, vider ensemble une
bouteille de vin, que ce brave homme paya de sa poche. Après cela
il m’embrassa comme une vieille connaissance et me souhaita un bon
voyage.
    Étant donc parti de là plus courageux, je
suivis le conseil du citoyen Lami, de prendre à chaque repas une
chopine de bon vin, même s’il était cher, en calculant sur ma
bourse, bien entendu, parce qu’il me restait encore huit ou dix
jours de route, dans l’état où je me trouvais. L’idée de la mort
m’avait quitté ; je songeais à Marguerite, à mon père, à
maître Jean, et je me disais :
    « Courage, Michel, ils
t’attendent ! »
    Je revoyais le pays, j’entendais les cris des
amis :
    « Le voilà !… c’est
lui !… »
    Au lieu de me laisser abattre, de m’appuyer
sur mon bâton, le dos courbé, je me redressais, j’allongeais le
pas. Et la vue du pays désolé, les plaintes des paysans taxés au
maximum, la publication de ces taxes dans chaque district,
l’enlèvement des grains, les disputes à la porte des boutiques,
l’arrivée des commissaires de subsistances, des gendarmes
nationaux, toutes ces choses que je rencontrais à chaque bourgade,
et la demande qu’on me faisait de mes papiers, les interrogatoires
en règle des aubergistes chaque soir avant de vous donner un lit,
ces mille ennuis de la route ne me faisaient plus rien.
    J’avais aussi le bonheur de rencontrer
quelquefois la carriole d’un paysan et de monter dessus pour deux
ou trois sous ; les petites villes et les villages défilaient
après Vitry-le-Français :
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