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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
Autoren: Erckmann-Chatrian
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voiture
s’arrêta.
    Je descendis en remerciant ce brave homme, et
je prenais mon sac à la courroie, lorsqu’il me dit :
    – Bah ! tu vas rester ici, citoyen,
tu ne trouverais pas de bouchon au village.
    En même temps une grande femme sèche sortit de
la maison, avec un de ces anciens chapeaux de paille en forme de
cornet ; le vieux encore sur la charrette, lui cria :
    – Ce jeune homme est de la maison pour ce
soir ; c’est un brave garçon, nous allons vider bouteille
ensemble ; et pour le reste, comme on dit, à la fortune du
pot !
    Je voulais refuser, mais lui, me prenant par
l’épaule et me poussant doucement dans la salle, disait :
    – Bah ! bah ! c’est entendu… tu
me feras plaisir, et à ma femme, à ma fille, à ma sœur. Henriette,
prends le sac du citoyen ; qu’on lui prépare un bon lit ;
le temps de dételer, de mettre le cheval à l’écurie et
j’arrive.
    Il fallut bien faire ce qu’il voulait ;
pour dire vrai, je n’en étais pas fâché, car cette maison me
paraissait la meilleure de l’endroit ; et la grande salle en
bas, la table ronde au milieu, avec un rouleau de paille pour
nappe, les assiettes, les gobelets, la bouteille autour, me
rappelaient le bon temps des Trois-Pigeons.
    La femme, elle, m’ayant regardé d’un air
d’étonnement, me conduisit dans une petite chambre derrière, la
fenêtre sur un verger, et me dit :
    – Mettez-vous à votre aise, Monsieur.
    Depuis longtemps je n’avais plus entendu les
gens se parler poliment ; j’en fus un peu surpris. Elle
s’était retirée. Je sortis de mon misérable sac ce qui me restait
de mieux, je me lavai avec du savon dans une grande écuelle, je
changeai de souliers, enfin je fis ce que je pus, et je rentrai
bientôt dans la salle. La soupière était déjà sur la table. Une
autre femme et une jeune fille de seize à dix-sept ans, très jolie,
se trouvaient là, causant avec le maître de la maison.
    – Allons, assieds-toi, me dit le citoyen.
Je sors pousser les volets.
    Je m’assis avec les dames ; il revint et
me servit le premier une bonne assiette de soupe aux légumes, comme
je n’en avais pas senti de pareille depuis deux ans ; ensuite
nous eûmes un bon morceau de veau rôti, de la salade, une corbeille
de noix, avec du pain et du vin excellent. Cette famille devait
être la plus riche du pays. Tout en mangeant, le citoyen Lami, –
voilà que son nom me revient. Oui, c’est Lami qu’il
s’appelait ; cela remonte à 94. Que de choses se sont passées
depuis ! – Ce citoyen donc raconta ce que j’avais vu et
l’indignation que ce spectacle m’avait causée. C’était vers la fin
du souper. Tout à coup, l’une des dames se leva, le tablier sur les
yeux, et sortit en sanglotant, et quelques instants après les deux
autres la suivirent. Alors il me dit :
    – Citoyen, ma sœur est mariée à
Arcis-sur-Aube ; c’est une amie de la famille Danton. Elle est
revenue de là depuis trois jours ; et nous tous nous
connaissons cette famille, nous lui sommes attachés ; j’ai
moi-même eu bien des rapports avec Georges Danton ; vous
pensez si cela nous touche.
    Il ne me tutoyait plus, et je vis qu’il était
prêt à fondre en larmes.
    – Ah ! quel malheur, fit-il, quel
horrible malheur !
    Et tout à coup il sortit aussi. Je restai seul
plus d’un grand quart d’heure, le cœur gros. Je n’entendais
rien ; et puis ils revinrent ensemble, les yeux rouges ;
on voyait qu’ils avaient pleuré. Le citoyen, en rapportant une
bouteille de vieux vin ; il me dit en la débouchant :
    – Nous allons boire au salut de la
république !… À la punition des traîtres !…
    En même temps il remplit mon verre et le sien
et nous bûmes. Les femmes ayant repris leur place, la sœur du
citoyen Lami, qu’on appelait Manon, raconta qu’un mois avant,
Danton était encore chez sa mère, à Arcis-sur-Aube ; qu’il se
promenait dans une grande salle donnant sur la place, les portes et
les fenêtres ouvertes ; que chacun pouvait aller le voir, lui
serrer la main, lui demander un conseil ; ouvriers, bourgeois,
paysans, il recevait tout le monde, disant au premier venu ce qu’il
pensait, sans méfiance ; qu’il avait souvent amené des
amis : Camille Desmoulins et sa jeune femme, la sienne et ses
deux enfants, quelquefois son beau-père et sa belle-mère
Charpentier ; ils redescendaient tous chez la mère de Danton,
mariée en secondes noces avec le citoyen Recordain, marchand
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