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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
Autoren: Erckmann-Chatrian
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la guillotine, cela dit
tout !
    Je m’en allai bien triste et bien malade, tout
blanc de poussière, car il faisait chaud.
    Tout le long de la route des postes vous
arrêtaient, visitaient vos papiers, mettaient leur visa dessus.
Robespierre n’avait confiance que dans la police ; presque
tous les juges de district, les administrateurs, les représentants
en mission, les maires, et jusqu’aux gardes champêtres, étaient de
sa police ; cela faisait en quelque sorte une nation de
mouchards, qui se payait et vivait sur les paysans, les ouvriers,
les travailleurs de toute sorte. On comprend combien de pareilles
avanies, qui se renouvelaient à chaque bourgade, indignaient les
voyageurs.
    Le huit ou neuvième jour, après avoir passé
Châlons, je me traînais un soir sur la route de
Vitry-le-Français ; la sueur me tombait goutte à goutte du
front, et je m’écriais en moi-même : « Faut-il donc tant
souffrir en ce monde, avant d’arriver au cimetière ! Faut-il
que tantôt une espèce de gueux et tantôt une autre roule en voiture
et se goberge comme des princes, pendant que les honnêtes gens
périssent lentement de fatigue et de misère ! »
    J’avais fini par m’asseoir sur un tas de
pierres, regardant au loin, bien loin, un petit village au bout de
la route ; le soleil descendait ; j’avais faim et soif,
et je me demandais si j’aurais encore le courage d’aller jusque-là.
Comme j’étais ainsi découragé, tout à coup le roulement d’une
voiture sur la route me fit tourner la tête, et je vis s’approcher
au trot une de ces charrettes de la campagne, – tressées d’osier, –
en forme de grande corbeille, un vieux bonhomme en large chapeau de
paille et carmagnole de drap gris assis devant. À mesure qu’il
s’approchait, je reconnaissais qu’il avait une bonne figure, de
gros yeux bleu clair, de bonnes lèvres, la perruque à la cadogan
dans son sac, qu’on appelait crapaud ; il me regardait aussi,
et me cria le premier :
    – Tu es las, citoyen ! monte donc à
côté de moi, ça te reposera de la route.
    J’étais étonné et même attendri.
    – J’allais te demander ce service,
citoyen, lui dis-je en me levant, pendant qu’il s’arrêtait et me
tendait la main. Je n’en peux plus !
    – Ça se voit, fit-il. Tu viens de
loin ?
    – J’arrive de la Vendée. Je suis malade
et hors de service ; la marche me fatigue, je crache le sang.
Pourvu que j’arrive au pays pour mourir, c’est tout ce que je
demande.
    La charrette s’était remise à trotter ;
lui, me regardant alors, s’écria comme touché :
    – Bah ! bah ! jeune homme,
qu’est-ce que cela signifie ? Tu n’as donc pas de
courage ? Quand on est jeune, il ne faut jamais se désespérer.
Je te dis, moi, qu’il ne te faut que du repos, une bonne
nourriture, du bon vin, et tout se remettra. Crois-moi ! Hue
Grisette !
    Je ne répondis rien ; quelques instants
après il me demanda :
    – Tu as passé par Paris,
citoyen ?
    – Oui, lui dis-je, et cela m’a rendu plus
malade ; j’ai vu là des choses qui m’ont arraché le cœur, j’en
suis abattu.
    – Quoi donc ? fit-il en me
regardant.
    – J’ai vu guillotiner les meilleurs
patriotes : Danton, Camille Desmoulins, mon général
Westermann, et tous les braves gens qui nous avaient sauvés. Si je
n’étais pas tellement malade, et si je valais la peine d’être
guillotiné, je n’oserais pas parler comme je le fais ; mais
qu’on vienne m’empoigner, je m’en moque, les scélérats ne me
tiendront pas longtemps : c’est de l’abominable
canaille !
    En parlant, la colère et la fatigue me
faisaient cracher le sang à pleine bouche. Je pensais :
    « Tout est perdu !… Tant pis !…
Si c’est un robespierriste, qu’il me dénonce ! »
    Lui, voyant cela, se tut un instant ; il
était devenu tout pâle, et ses gros yeux étaient comme enflés de
larmes ; mais il ne me dit pourtant rien, m’engageant
seulement à me contenir. Alors je lui racontai ce que j’avais vu,
dans les détails ; les tas de soi-disant sans-culottes qui
couraient derrière les voitures, criant : « À bas, les
corrompus ! » et le reste.
    Nous approchions du village, un pauvre
village : les maisons plates, affaissées sous les lourdes
tuiles creuses, les fumiers et les hangars dans un état de misère.
Il en existait pourtant une assez belle et mieux bâtie, avec de
petits jardins sur les côtés, devant laquelle la
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