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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident
Autoren: Rocquet
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étiquette sur un pot, un bocal, un livre illustré ? Ou sur le vif : nous sommes en mai, temps joyeux pour les oiseaux… Il dessine le port, les bateaux, une mouette sur l’eau, plongeant pour attraper un poisson ou quelque chose d’un seau qu’un marin vient de verser par-dessus bord ; peut-être les carrioles que je voyais rouler tout à l’heure. Un chalutier et ses chaluts, un cordage, une caisse vue en perspective. Il copie des illustrés, des illustrations, des images. Il regarde Gustave Doré, Don Quichotte . Il aime les livres. Il lit, beaucoup : Fenimore Cooper, Tourgueniev, Tolstoï, Dickens, Les Misérables… Toute sa vie, il sera grand liseur.
    Au bord de l’Hudson, il pense à New York ; devant l’horizon, il pense à l’Europe où il voyagera un jour. Il est bon nageur et bon rameur. Sportif. Si passionné de voile qu’il fonde avec trois amis un yacht-club. Il conçoit et construit un canoë sur le modèle de la pirogue indienne. Je ne sais si son père, comme il l’avait fait pour un petit bateau à une voile, lui a donné
l’argent nécessaire ; l’esquif, mal conçu, n’avait pas flotté longtemps.
    Il est né deux ans après sa sœur, Marion. Une photo les montre, très près l’un de l’autre, très proches, et nous devinons entre eux l’affection, la tendresse. On croyait parfois qu’ils étaient jumeaux, dit Gail Levin. Marion, petite fille, aimait jouer avec des théâtres de carton, de papier : Edward fabriquait pour elle et peignait le costume des personnages, les décors, le castelet.
    Il sera le seul frère de cette unique sœur.
    En 1922, revenu définitivement en Amérique, et plus de dix ans après son retour, Hopper peint A Girl at Sewing Machine (« Jeune fille cousant à la machine »). Il semble que la scène se passe dans la maison familiale et que ce portrait d’une jeune fille, d’une jeune femme, pourrait être celui de Marion ; et non celui de leur mère, même s’il s’agissait en ce cas d’un souvenir d’enfance, imaginaire, rêvé ; et si nous savons qu’Elizabeth Garett, industrieuse, économe, coupait et cousait les vêtements de sa fille et les siens, usant des ressources du magasin.
    La jeune fille travaille devant la fenêtre, près de la fenêtre, à la lumière du jour. Elle travaille, mais elle regarde sans doute de temps en temps par la fenêtre, on dirait alors qu’elle attend quelqu’un, quelque chose, une lettre. Le peintre la montre attentive à ce qu’elle fait. Elle est penchée vers le flot d’étoffe blanche, grège, sur le plateau de la machine. Ses longs cheveux bruns, châtains, tombent sur les épaules et lui voilent en partie le visage, qu’on voit de profil. Est-ce parce que c’est le matin qu’elle ne s’est pas coiffée davantage ? Sa robe blanche pourrait être une robe de nuit. Elle est ample, abondante, et la jeune fille n’est
pas mince. Peut-être est-elle en train de coudre le vêtement qu’elle portera tout à l’heure.
    Le mur de la chambre est rouge, d’un rouge chaleureux tirant sur le vermillon. Sa couleur, qui joue et contraste avec les blancs du linge, égaie la pièce. Il fait bon vivre. Un petit tableau, peut-être une peinture de Hopper, ou une illustration encadrée, est accroché au mur, animant la grande surface rouge, rouge orangé. Cette surface, ce fond, est avivée par la lumière qui traverse les vitres et projette sur le mur l’ombre oblique de leur châssis. Le cadre de bois sombre, sur le mur, fait écho à la fenêtre : vitre, bois, couleur et dessin ; et c’est aussi l’écho de la peinture dont la jeune couseuse est le sujet, le prétexte.
    Cantonnant et soutenant à gauche la composition, un meuble de bois sombre ; sur sa tablette de marbre, quelques objets, modestes. La partie haute du meuble 2 , de la commode, est un miroir, tel celui d’une armoire à glace, dont une partie étroite, coupée par le bord de la toile, reflète la lumière.
    Cette peinture de Hopper n’est plus dans sa première manière : un peu sombre, sinon rouge, tirant souvent sur les bruns qui tirent sur des noirs. Le rouge de la chambre est plus léger que naguère. La palette s’est éclaircie. L’ancien élève de Robert Henri a vu les peintures et les pastels de Degas. Il s’est fait, à Paris, « impressionniste » ; sans imiter aucun impressionniste. Il a vu, au Louvre, en Hollande, Vermeer, sa jeune fille tirant l’aiguille, brodant : La Dentellière . Sans doute se
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