Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident
Autoren: Rocquet
Vom Netzwerk:
homme, grand lecteur, fin lettré, et dont les Essais de Montaigne sont l’un des livres de chevet, n’est-il pas devenu professeur ? Il est vrai qu’il dut gagner sa vie très jeune pour aider sa mère devenue veuve.
    Si j’écrivais une vie romancée d’Edward Hopper, j’imaginerais l’enfant assis sur le comptoir de chêne brillant, lustré, ciré, reflétant la lumière du soleil et son déplacement au cours de la journée. Sur le bois du comptoir, il y aurait, posée, obliquement, la longue règle graduée avec quoi se mesure l’étoffe, le lé nécessaire. Je m’attacherais à l’ombre portée par la règle sur le bois et les veines du bois ; je montrerais les pans et les angles de la lumière sur les murs et les portes, les cartons dans les étagères. Il y aurait dans les rayons des boîtes pleines de bonnets et de dentelles, de rubans, de fermetures éclair. Il y aurait des boutons-pression, des boutons de toutes sortes, cousus à leur carton, ou en vrac ; de cuivre et bombés, en nacre, en bois ; des ganses, des gants, des pelotes de laine, des aiguilles et des bobines, aiguilles pour le tricot, aiguilles pour la couture, des crochets, mille choses de cette sorte, un monde où l’enfant aime plonger ou promener la main, dont il aime regarder de près chaque détail, chaque nuance, l’éclat distinct ; derrière lui, sur les étagères, parfois à l’abri de la poussière, protégées par des vitres, miroir de l’ombre et du soleil, des lots ou des rouleaux de tissus, des coupons dont le bord est effrangé, des planches enveloppées d’étoffe, rangées, comme autant de vagues et plis de la mer, comme les volets des persiennes, les lames tranquilles des façades, au-dehors. Je montrerais des pans d’étoffe sur le comptoir, côte à côte, des échantillons que le
soleil éclaire et colore diversement. Et puis tout un assortiment et le plus grand choix de linge de table, nappes, serviettes ; de linge de cuisine, torchons et moufles pour ne pas se brûler en sortant le plat du four ; de linge de toilette ; de linge de corps ; tout ce qu’il faut comme sous-vêtements, lingerie. J’entendrais le battement de la pendule et, de temps en temps, le bruit de la caisse qui s’ouvre et se déclenche, marque un chiffre, se referme sur l’argent honnêtement gagné. Peut-être une sonnette sonne-t-elle, un carillon suspendu au-dessus de la porte tintinnabule-t-il, lorsque entre une cliente, et qu’elle sort. Une voiture de livraison, venue de New York ou du port, s’arrête et se gare devant la vitrine et l’on apporte quelques ballots de marchandise, de fourniture.
    La vie d’Edward est tracée : succéder à son père, HOPPER Father & son . Mais il a d’autres idées sur ce qu’il aimerait faire plus tard, quand il sera grand. Il passe de longues heures devant la mer, sur le port. Il ne se lasse pas de voir les bateaux, les voiles s’amenuiser vers l’horizon, disparaître dans la lumière, regagner la côte. Il ne se lasse pas de les voir se dandiner le long du quai, flanc contre flanc, au bout d’un cordage. Il aime savoir comment ils sont construits et comment, sur le rivage, entre les hangars, sur les chantiers, on les bâtit, comment on en calcule et agence les angles et les courbes, l’étrave. Le bruit des maillets sur les coques et les membrures, le bruit des scies, l’enchante. Il a décidé qu’il serait ingénieur naval. C’est une raison pour être bon élève. Il l’est. Excellent les premières années, plus de dix-huit sur vingt de moyenne, dans une école privée. Si la moyenne baisse, au collège, il reste bon en calcul, en géométrie, en dessin, en français. Studieux, sérieux. Il n’est pas de
ces garçons qui sont le souci de leurs parents. Espiègle pourtant, taquin, farceur. Sa sœur a dit comme il aimait à l’école tremper dans l’encrier les nattes des filles assises devant lui. Plus tard, il dessine ou peint des cafards, des punaises sur l’oreiller d’un ami. À l’école d’art, il tient sa partie dans la mystification des nouveaux.
    Il aime dessiner. Comme tous les enfants ? Mais, à dix ans, il signe ses dessins et les date : comme fait l’artiste, le peintre. Nous avons gardé ou, pour mieux dire, ses parents ont gardé, et plutôt sa mère, sans doute, daté du 23 mai 1893 : « Trois oiseaux sur une branche » ; gracieux, peut-être dessinés d’après modèle ; posés comme des notes sur une portée ; d’après une
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher