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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident
Autoren: Rocquet
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rouge, bonnes-sœurs laïques, soldats sans armes, héroïnes si douces qui regardent l’horreur des plaies sans faiblir. Elles seront les sœurs et les mères de ceux que la guerre ampute et déchire. Elles fermeront les yeux des morts dans les hôpitaux.
     
    Hopper a souvent gravé et peint le Phare. Toujours, semble-t-il, vu du côté de la terre et avec la maison bâtie à son pied, celle du gardien, de sa famille ; parfois tourné vers le large, un pavillon : la corne de brume. Et, sauf erreur, dans la lumière du jour. Ces « phares » ne sont pas des « marines » ; ils ne
sont pas le prétexte ou l’occasion de peindre la mer, l’horizon, des navires, des barques, des voiles, le soleil faisant miroiter les vagues, à son lever, à son coucher, dans le feu vertical de midi, dispensant, dispersant tous ses bouquets de lumière à l’écume, au spectateur. Hopper choisit la terre ferme. Il se tient debout et enraciné, de ce côté-ci du monde, à son extrémité. Cependant, s’il montre le phare vu d’en bas, en contre-plongée, et si un espace de terre le sépare de nous, la terre semble remuée par des remous comme la mer ; non seulement l’herbe est une sorte d’écume lumineuse, mais les plis du sol ressemblent aux vagues. Rimbaud eut ce sentiment, entre mer et terre, entre ciel et terre, dans Marine :
    Les chars d’argent et de cuivre –
Les proues d’acier et d’argent –
Battent l’écume, –
Soulèvent les souches des ronces.
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l’est,
Vers les piliers de la forêt, –
Vers les fûts de la jetée,
Dont l’angle est heurté par des tourbillons de lumière.
    Poème qui serait une page du carnet de travail d’un peintre. Vision d’une fin du monde, d’un « finistère » où le tohu-bohu, sa confusion, serait l’annonce d’une genèse, d’un nouveau monde, peut-être éternel cette fois. « Aussitôt que l’idée du Déluge se fut rassise »… Poème à ce point construit sur l’analogie que nous pourrions penser que c’est l’analogie, la métaphore qui en est le sujet ; le chassé-croisé du paysage terrestre et maritime n’étant qu’un exemple, comme celui
d’une grammaire, qui la mette en évidence. Et l’analogie, la métaphore étant, avec la langue, le verbe, la clef de la poésie, l’essence d’un « art poétique » – transposable à la peinture 4  ?
    On peut expliquer cette fréquence du Phare, cet attachement, par des raisons de peintre. Un phare, dans une toile, dans un paysage, est une haute verticale, une tour, autour de quoi la composition s’équilibre, s’organise. C’est une masse blanche, qu’un peu de rouge, ou d’une autre couleur, une touche, un éclat de soleil dans un vitrage, à son sommet, sa calotte, anime. Un phare est un trait de pinceau, de brosse, large sur la toile, dont, avec les autres couleurs, il recouvre et dissimule la blancheur initiale : simple support. Un phare, sa blancheur, sa clarté, est un hommage à la toile blanche. Il est la toile nue revêtue de peinture, métamorphosée en peinture, en tableau, en œuvre. Il change la nature en ouvrage. Il affirme la puissance du peintre dans ce qui paraît le plus étranger à la peinture : le blanc. Il est aussi l’emblème, vertical, du pinceau ; et l’emblème du peintre ; son signe, sinon sa signature. Ainsi des raisons d’ordre symbolique se glissent-elles sous des raisons picturales ; les deux ordres s’entremêlant, dialoguant. Peindre, quand bien même le peintre ne se voudrait qu’un « œil », et le témoin impartial du visible, est toujours cosa mentale . Peindre est toujours, pour le peintre, porter au jour au moins une partie de sa vie intérieure. Hopper le savait bien, qui disait que sa peinture avait son origine non seulement dans le monde extérieur, mais en lui ; et sans doute est-ce l’une des raisons pourquoi il parlait peu de sa peinture : afin de ne rien trahir de soi, de son secret, de sa vie intime.

    Très tôt, il lira Freud et Jung, aura connaissance du surréalisme, saura que l’image, la peinture, comme le rêve, est miroir de l’inconscient. Qui raconte ses rêves, à qui entend, se dévoile. Il saura qu’une image, un rêve, n’a jamais un seul sens : mais plusieurs, qui se croisent, se superposent, s’enchevêtrent, forment un dédale. Pourquoi le peintre donnerait-il de sa peinture, de son œuvre, le sens ?
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