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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys
Autoren: Chantal Touzet
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sur le devant de ses gencives, Jeanne
de Brabant se garda de répondre : ces excès charnels étaient bien
réels et secrètement encouragés par l’entourage de Charles VI. Pourtant, les
accusations de Thadée avaient de quoi faire sourire quand on savait qu’elle
était issue de la famille des Visconti, de bien pire réputation.
    Le regard de la visiteuse s’attacha au hasard sur
les armoiries sculptées du manteau de la grande cheminée : la bisse
couronnée des Visconti, une espèce d’énorme serpent à tête de loup, avalant
tout vif un être humain. Elle songea qu’il n’y avait pas de représentation plus
cruelle en héraldique.
    — N’est-ce point là vérité vraie ? demanda
tout soudain la Visconti, faisant sursauter la duchesse de Brabant. Le roi
Charles VI n’est-il point un débauché ?
    — Des rumeurs, dame Thadée, mentit
effrontément la douairière. Des rumeurs qui se gonflent en chemin, et il est
long de France jusqu’en Bavière. Gardez-vous de la bouche du Démon, il parle souvent
par celle des rapporteurs.
    — Il n’empêche que je ne vous tiens pas
quitte. Si je vous donne ma fille, je veux votre promesse solennelle de la
garder du roi tout le temps nécessaire, car laisser une épouse impubère aller
au lit avec son époux est un crime devant Dieu.
    — Vous l’avez, soyez sûre que j’y veillerai, promit
Jeanne obligeamment, voyant bien que ce détail était la véritable pierre d’achoppement
de la résistance bavaroise au mariage de leur fille.
    Une vétille pour la duchesse de Brabant qui n’était
qu’une entremetteuse et ne visait qu’à s’acquérir les complaisances du duc
de Bourgogne. Depuis qu’elle était veuve, elle savait combien son Brabant
attirait de convoitises, aussi cherchait-elle à obtenir les plus hautes
protections. Elle avait pour mission d’amener la princesse de Bavière en
France à n’importe quel prix. Ce qui pouvait se passer dans la couche royale
ensuite lui importait peu. Tout à ses pensées, elle surprit soudain Thadée
Visconti qui la lorgnait. Jeanne eut la fugitive et désagréable impression que
la châtelaine de Ludwigsburg lisait dans ses pensées.
    Toujours penchés à leur fenêtre, Étienne et
Frédéric poussèrent soudain un rugissement de triomphe. Isabelle venait enfin
de récupérer Autan après l’avoir longuement appelé, si longtemps qu’on pût le
croire perdu. Mais il venait de fondre sur le poing de sa maîtresse, serres
crochetées dans le gant qui protégeait sa main. Dans la haute cour, des valets
d’écurie amenaient des chevaux. Le prochain lâcher de l’épervier se ferait en
pleine forêt.
     
    Thadée Visconti, enfin rassasiée, s’essuya les
doigts dans la nappe.
    — Ainsi, madame de Brabant, vous vous
portez garante de l’honneur de ma fille, et j’ai votre promesse solennelle. Avec
l’aide de Dieu, elle sera tenue. (Elle se dressa brusquement.) Alors donc, allons
prier, duchesse.
    Ce n’était pas une proposition, c’était un ordre, pire,
cela ressemblait à une menace. Thadée affichait une mine brusquement durcie, son
nez partait à la rencontre de son menton, sa bouche n’était plus qu’une ligne
que la rondeur d’une lèvre n’adoucissait pas. De profil, elle faisait penser à
une sorcière.
    La duchesse de Brabant se leva avec réticence
et la suivit.
    Alors que les dames quittaient la salle, le duc de Bavière
referma la croisée.
    — Allons, mon frère, visiter l’oisellerie d’Isabelle.
Elle vient de s’enrichir d’un paon entièrement blanc. Cette rareté vaut le coup
d’œil.
    *
    La dame de Brabant suivait Thadée Visconti
dans un interminable dédale de couloirs et d’escaliers sombres et glacials, au
cœur de l’antique forteresse de Ludwigsburg. Un incompréhensible malaise s’était
saisi d’elle et ne faisait que croître. Enfin, la châtelaine ouvrit une porte
lourdement ferrée à l’aide d’une grosse clef qu’elle portait à sa ceinture, et
introduisit Jeanne dans une minuscule chapelle qui semblait n’être faite que
pour son usage personnel.
    Un étroit vitrail pris dans une meurtrière
diffusait une lueur parcimonieuse à travers la représentation du Jugement
dernier. Le Christ en majesté, juge impassible, en était le centre. En dessous,
les âmes damnées étaient précipitées dans le feu des enfers. En haut, des anges
jouant de l’olifant accueillaient celles des bienheureux. Un petit autel était
tendu de noir, ce qui
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