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D'Alembert

D'Alembert

Titel: D'Alembert
Autoren: Joseph Bertrand
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lui vient pas plus d'esprit qu'il n'en montre, car il le laisserait voir, ne fût-ce que par l'impuissance absolue où il est de se contraindre sur quoi que ce puisse être. Tout le monde est donc à son aise avec lui sans qu'il y tâche ; et on s'aperçoit bien qu'il n'y tâche pas ; ce qui fait qu'on lui en sait bon gré. Il est d'ailleurs d'une gaieté qui va quelquefois jusqu'à l'enfance ; et le contraste de cette gaieté d'écolier avec la réputation bien ou mal fondée qu'il a acquise dans les sciences, fait encore qu'il plaît assez généralement, quoiqu'il soit rarement occupé de plaire : il ne cherche qu'à s'amuser et à divertir ceux qu'il aime ; les autres s'amusent par contre-coup, sans qu'il y pense et qu'il s'en soucie.
Il dispute rarement et jamais avec aigreur : ce n'est pas qu'il ne soit, au moins quelquefois, attaché à son avis ; mais il est trop peu jaloux de subjuguer les autres pour être fort empressé de les amener à penser comme lui.
    D'ailleurs, à l'exception des sciences exactes, il n'y a presque rien qui lui paraisse assez clair pour ne pas laisser beaucoup de liberté aux opinions ; et sa maxime favorite est que presque sur tout on peut dire tout ce qu'on veut.
Le caractère principal de son esprit est la netteté et la justesse. Il a apporté dans l'étude de la haute géométrie quelque talent et beaucoup de facilité, ce qui lui a fait en ce genre un assez grand nom de très bonne heure. Cette facilité lui a laissé le temps de cultiver encore les belles-lettres avec quelque succès : son style serré, clair et précis, ordinairement facile, sans prétention quoique châtié, quelquefois un peu sec, mais jamais de mauvais goût, a plus d'énergie que de chaleur, plus de justesse que d'imagination, plus de noblesse que de grâce.
Livré au travail et à la retraite jusqu'à l'âge de plus de vingt-cinq ans, il n'est entré dans le monde que fort tard et ne s'y est jamais beaucoup plu ; jamais il n'a pu se plier à en apprendre les usages et la langue, et peut-être même met-il une sorte de vanité assez petite à les mépriser : il n'est cependant jamais impoli, parce qu'il n'est ni grossier ni dur ; mais il est quelquefois incivil par inattention ou par ignorance. Les compliments qu'on lui fait l'embarrassent parce qu'il ne trouve jamais sous sa main les formules par lesquelles on y répond : ses discours n'ont ni galanterie ni grâce ; quand il dit des choses obligeantes, c'est uniquement parce qu'il les pense, et que ceux à qui il les dit lui plaisent. Aussi le fond de son caractère est une franchise et une vérité souvent un peu brutes, mais jamais choquantes.
Impatient et colère jusqu'à la violence, tout ce qui le contrarie, tout ce qui le blesse fait sur lui une impression vive dont il n'est pas le maître, mais qui se dissipe en s'exprimant :
    Au fond il est très doux, très aisé à vivre, plus complaisant même qu'il ne le paraît, et assez facile à gouverner, pourvu néanmoins qu'il ne s'aperçoive pas qu'on en a l'intention, car son amour pour l'indépendance va jusqu'au fanatisme, au point qu'il se refuse souvent à des choses qui lui seraient agréables, lorsqu'il prévoit qu'elles pourraient être pour lui l'origine de quelque contrainte ; ce qui a fait dire avec raison à un de ses amis qu'il était esclave de sa liberté.
Quelques personnes le croient méchant, parce qu'il se moque sans scrupule des sots à prétention qui l'ennuient ; mais, si c'est un mal, c'est tout celui qu'il est capable de faire : il n'a ni le fiel ni la patience nécessaires pour aller au delà ; et il serait au désespoir de penser que quelqu'un fût malheureux par lui, même parmi ceux qui ont cherché le plus à lui nuire. Ce n'est pas qu'il oublie les mauvais procédés ni les injures, mais il ne sait s'en venger qu'en refusant constamment son amitié et sa confiance à ceux dont il a lieu de se plaindre.
L'expérience et l'exemple des autres lui ont appris en général qu'il faut se défier des hommes ; mais son extrême franchise ne lui permet pas de se défier d'aucun en particulier : il ne peut se persuader qu'on le trompe ; et ce défaut (car c'en est un, quoiqu'il vienne d'un bon principe) en produit chez lui un autre plus grand, c'est d'être trop aisément susceptible des impressions qu'on veut lui donner.
Sans famille et sans liens d'aucune espèce, abandonné de très bonne heure à lui-même, accoutumé dès son enfance à un genre de vie
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