Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
D'Alembert

D'Alembert

Titel: D'Alembert
Autoren: Joseph Bertrand
Vom Netzwerk:
vous m'avez inspiré depuis dix-sept ans : ce sentiment se fortifie de plus en plus par la connaissance que j'ai des qualités aimables et solides qui forment votre caractère ; il me fait sentir en ce moment le plaisir de m'occuper de vous, en vous peignant telle que je vous vois.
Vous ne voulez pas, dites-vous, que je me borne à faire la moitié de votre portrait en ne composant qu'un panégyrique ; vous y voudriez des ombres, apparemment pour relever la vérité du reste ; et vous m'ordonnez de vous entretenir de vos défauts, même, en cas de besoin, de vos vices, si je vous en connais quelques-uns. De vices, j'avoue que je ne vous en sais point, et j'en suis presque fâché, tant j'aurais envie de vous obéir. De défauts, je vous en connais quelques-uns, et même d'assez déplaisants pour les gens qui vous aiment.
Trouvez-vous cette déclaration assez grossière ?
Je souhaiterais même que vous eussiez d'autres défauts que ceux dont j'ai à vous faire le reproche. Je voudrais en vous ces défauts qui rendent aimable, de ceux qui sont l'effet des passions ; car j'avoue que j'aime les défauts de cette espèce : mais par malheur ceux que j'ai à vous reprocher n'en sont pas, et prouvent peut-être (je ne vous dis cela qu'à l'oreille) qu'il n'y a guère de passion chez vous.
Je ne parlerai point de votre figure ; vous n'y attachez aucune prétention, et d'ailleurs c'est un objet auquel un vieux et triste philosophe comme moi ne prend pas garde, auquel il ne se connaît pas, auquel même il se pique de ne se pas connaître, soit par ineptie, soit par vanité, comme il vous plaira.
    Je dirai cependant de votre extérieur, ce qui me paraît frapper tout le monde : que vous avez beaucoup de noblesse et de grâces dans tout votre maintien et, ce qui est bien préférable à une beauté froide, beaucoup de physionomie et d'âme dans tous vos traits. Aussi pourrais-je vous nommer plus d'un de vos amis qui auraient eu pour vous plus que de l'amitié, si vous l'aviez voulu.
Le goût qu'on a pour vous ne tient pas seulement à vos agréments extérieurs ; il tient surtout à ceux de votre esprit et de votre caractère, votre esprit plaît et doit plaire par bien des qualités, par l'excellence de votre ton, par la justesse de votre goût, par l'art que vous avez de dire à chacun ce qui lui convient.
L'excellence de votre ton ne serait pas un éloge pour une personne née à la cour et qui ne peut parler que la langue qu'elle a apprise : en vous c'est un mérite très réel, et même très rare ; vous l'avez apporté du fond d'une province, où vous n'aviez trouvé personne qui vous l'enseignât. Vous étiez sur ce point aussi parfaite le lendemain de votre arrivée à Paris, que vous l'êtes aujourd'hui. Vous vous y êtes trouvée dès le premier jour aussi libre, aussi peu déplacée dans les sociétés les plus brillantes et les plus difficiles, que si vous y aviez passé votre vie ; vous en avez senti les usages avant de les connaître, ce qui suppose une justesse et une finesse de tact très peu communes, une connaissance exquise des convenances. En un mot vous avez deviné le langage de ce qu'on appelle bonne compagnie, comme Pascal dans ses Provinciales avait deviné la langue française, qui n'était pas formée de son temps, et le ton de la bonne plaisanterie, qu'il n'avait pu apprendre de personne dans la retraite où il vivait.
    Mais comme vous sentez parfaitement que vous avez ce mérite, et même que ce n'est pas en vous un mérite ordinaire, vous avez peut-être le défaut d'y attacher trop de prix dans les autres : il faut bien des qualités réelles pour vous faire pardonner à ceux qui ne l'ont pas ; et sur cet objet assez peu important, vous êtes impitoyable jusqu'à la minutie.
Oui, mademoiselle, la seule chose sur laquelle vous soyez délicate, et délicate au point d'en être quelquefois odieuse, ici je suis comme Mme Bertrand dans la comédie du Moulin de Javelle, et je vais d'abord aux invectives, parce qu'il est question de défendre mes propres foyers, c'est votre excessive sensibilité sur ce qu'on nomme le bon ton dans les manières et dans les discours ; le défaut de cette qualité vous paraît à peine effacé par le sentiment le plus tendre et le plus vrai qu'on puisse vous marquer : mais, en récompense, il est des hommes en qui cette qualité supplée auprès de vous à toutes les autres ; vous les trouvez tels qu'ils sont, faibles, personnels, pleins d'airs, incapables
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher