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D'Alembert

D'Alembert

Titel: D'Alembert
Autoren: Joseph Bertrand
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même pour ceux que vous ne connaissez pas ; rien ne vous coûte pour les soulager. Avec cette disposition, il est naturel que vous soyez très obligeante : aussi ne peut-on vous faire plus de plaisir que de vous en fournir l'occasion ; c'est donner à la fois de l'aliment à votre bonté et à votre activité naturelle. J'ai dit que vous donniez à vos amis tous les sentiments que vous pouviez vous permettre ; vous leur accordez même quelquefois au delà de ce qu'ils seraient en droit d'exiger : vous les défendez avec courage, en toute circonstance et en tout état de cause, soit qu'ils aient tort ou raison.
Ce n'est peut-être pas la meilleure manière de les servir ; mais tant de gens abandonnent leurs amis lors même qu'ils pourraient et devraient les défendre, qu'on doit savoir gré à votre amitié de fuir et d'abhorrer cette lâcheté, même jusqu'à l'excès.
L'espèce de mouvement sourd et intestin qui agite sans cesse votre âme, fait qu'elle n'est pas aussi égale qu'elle le paraît, même à vos amis.
Vous avez souvent de l'humeur et de la sécheresse, mais, par une suite de votre désir général de plaire, vous ne la laissez guère paraître qu'à l'auteur de ce portrait : il est vrai que vous rendez justice à son amitié en ne craignant point de vous laisser voir à lui telle que vous êtes ; mais cette amitié se croit obligée de vous dire que la sécheresse et l'humeur vous déparent beaucoup à tous égards.
    Ainsi, pour l'intérêt même de votre amour-propre, l'amitié vous conseille d'avoir le moins de sécheresse et d'humeur que vous pourrez, à moins que vos amis ne le méritent, ce qui doit leur arriver bien rarement, grâce aux sentiments si profonds et si justes dont ils sont pénétrés pour vous.
Vous convenez de cette maudite sécheresse, et c'est bien fait à vous ; ce qu'il y aurait encore de mieux à faire, ce serait de vous en corriger.
Pour vous en dispenser, vous cherchez à vous persuader qu'elle est incorrigible et qu'elle tient à votre caractère : je crois que vous vous trompez là-dessus et qu'elle tient bien plutôt à la situation où vous êtes. Vous étiez née avec une âme tendre, douce et sensible ; vous ne l'avez que trop éprouvée, et les effets pour vous n'ont été que trop cruels : or, vous en direz tout ce qu'il vous en plaira, mais la sensibilité extrême exclut la sécheresse. Ce vilain défaut n'est donc pas en vous l'ouvrage de la nature, mais, ce qui est affreux, l'ouvrage de l'art : à force d'être contrariée, choquée, blessée dans vos sentiments et dans vos goûts, vous vous êtes accoutumée à ne vous affecter de rien ; à force de réprimer les sentiments qui auraient pu faire votre malheur, vous avez amorti ceux qui auraient répandu la douceur dans votre âme ; ils restent comme endormis au fond de votre coeur, sans mouvement, sans activité, et vous avez préparé bien du mal à vos amis en vous mettant à l'abri de celui que vos ennemis cherchaient à vous faire ; en travaillant à vous rendre dure à vous-même, vous l'êtes devenue pour ceux qui vous aiment. Il est vrai-car le sentiment n'est point anéanti chez vous, il n'est qu'assoupi-que vous ne tardez pas à vous repentir des chagrins que votre sécheresse a causés, quand vous voyez que ces chagrins ont fait une impression profonde ; vous revenez alors à votre sensibilité ancienne ; un moment, un mot répare tout.
    Dans les autres, le premier mouvement est l'effet de la nature, le second est celui de la réflexion : chez vous c'est tout le contraire ; et tel est dans votre âme, d'ailleurs si estimable, le cruel et malheureux effet de l'habitude.
Ce qui prouve encore que cette sécheresse n'est point naturelle en vous, c'est un autre défaut que je vous ai reproché et qui est presque l'opposé de celui-là, le désir banal de plaire à tout le monde : pour ce défaut-là, vous le tenez beaucoup plus que l'autre de la nature ; elle vous a donné dans l'esprit les qualités les plus faites pour plaire, de la noblesse, des agréments et de la grâce ; il est tout simple que vous cherchiez à en tirer parti, et vous n'y réussissez que trop bien. Je ne connais personne, je le répète, qui plaise aussi généralement que vous, et peu de personnes qui y soient plus sensibles ; vous ne refusez pas même de faire les avances quand on ne va pas au-devant de vous ; et sur ce point votre fierté est sacrifiée à votre amour-propre : assez sûre de conserver ceux
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