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D'Alembert

D'Alembert

Titel: D'Alembert
Autoren: Joseph Bertrand
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d'un sentiment profond et suivi, mais aimables et pleins de grâces, et vous avez la plus grande disposition à les préférer à vos plus fidèles, à vos plus sincères amis ; avec un peu plus de soin et d'attention pour vous, ils éclipseraient tout à vos yeux, et peut-être vous tiendraient lieu de tout.
La même justesse de goût qui vous donne un si grand usage du monde, se montre assez généralement dans les jugements que vous portez sur les ouvrages. Vous ne vous y trompez guère, et vous vous y tromperiez encore moins, si vous vouliez toujours être réellement de votre opinion, et ne point juger d'après certaines personnes aux genoux desquelles votre esprit a la bonté de se prosterner, quoiqu'elles n'aient pas à beaucoup près le don d'être infaillibles.
    Vous leur faites quelquefois l'honneur d'attendre leur avis, pour en avoir un qui ne vaut pas celui que vous auriez eu de vous-même.
Vous avez encore un autre défaut, c'est de vous prévenir et, comme on dit, de vous engouer à l'excès en faveur de certains ouvrages. Vous jugez avec assez de justice et de justesse tous les livres où il n'y a qu'un degré médiocre de sentiment et de chaleur : mais quand ces deux qualités dominent dans certains endroits d'un ouvrage, toutes les taches, même considérables, qu'il peut avoir, disparaissent pour vous ; il est parfait à vos yeux, et il vous faut du temps et un sens plus rassis pour le juger tel qu'il est. J'ajouterai cependant, pour vous consoler de cette censure, que tout ce qui tient au sentiment est un objet sur lequel vous ne vous trompez jamais, et qu'on peut appeler votre domaine.
Mais ce qui vous distingue surtout dans la société, c'est l'art de dire à chacun ce qui lui convient ; et cet art, quoique peu commun, est pourtant bien simple chez vous ; il consiste à ne jamais parler de vous aux autres, et beaucoup d'eux. C'est un moyen infaillible de plaire ; aussi plaisez-vous généralement, quoiqu'il s'en faille de beaucoup que tout le monde vous plaise : vous savez même ne pas déplaire aux personnes qui vous sont les moins agréables. Ce désir de plaire à tout le monde vous a fait dire un mot qui pourrait donner mauvaise opinion de vous à ceux qui ne vous connaîtraient pas à fond. Ah ! que je voudrais, vous êtes-vous écriée un jour, connaître le faible de chacun ! Ce trait semblerait partir d'une profonde politique et d'une politique même qui avoisine la fausseté : cependant vous n'avez nulle fausseté ; toute votre politique se réduit à désirer qu'on vous trouve aimable, et vous le désirez, non pas par un principe de vanité dont vous n'êtes que trop éloignée, mais par l'envie et le besoin de répandre plus d'agrément dans votre vie journalière.
    Si vous plaisez généralement à tout le monde, vous plaisez surtout aux gens aimables ; et vous leur plaisez par l'effet qu'ils font sur vous, par l'espèce de jouissance qu'éprouve leur amour-propre en voyant à quel point vous sentez leurs agréments ; vous avez l'air de leur être obligée de ces agréments comme s'ils n'étaient que pour vous, et vous doublez pour ainsi dire le plaisir qu'ils ont de se trouver aimables.
La finesse de goût qui se joint en vous au désir continuel de plaire, fait que, d'un côté, il n'y a jamais rien en vous de recherché, et que de l'autre il n'y a rien de négligé ; aussi peut-on dire de vous que vous êtes très naturelle et nullement simple.
Discrète, prudente et réservée, vous possédez l'art de vous contraindre sans effort, et de cacher vos sentiments sans les dissimuler. Vraie et franche avec ceux que vous estimez, l'expérience vous a rendue défiante avec tout le reste ; mais cette disposition, qui est un vice quand on commence à vivre, est une qualité précieuse pour peu qu'on ait vécu.
Cependant cette attention, cette circonspection dans la société, qui vous sont ordinaires, n'empêchent pas que vous ne soyez quelquefois inconsidérée ; il vous est arrivé, à la vérité bien rarement, de laisser échapper en présence de certaines personnes des discours qui vous ont beaucoup nui auprès d'elles : c'est que vous êtes franche par nature et discrète seulement par réflexion ; et que la nature s'échappe quelquefois malgré nos efforts.
Les différents contrastes qu'offre votre caractère, de naturel sans simplicité, de réserve et d'imprudence, contrastes qui viennent en vous du combat de l'art et de la nature, ne sont pas les seuls qui
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