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D'Alembert

D'Alembert

Titel: D'Alembert
Autoren: Joseph Bertrand
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obscur et étroit, mais libre ; né, par bonheur pour lui, avec quelques talents et peu de passions, il a trouvé dans l'étude et dans sa gaieté naturelle une ressource contre le délaissement où il était ; il s'est fait une sorte d'existence dans le monde sans le secours de qui que ce soit, et même sans trop chercher à se la faire.
    Comme il ne doit rien qu'à lui-même et à la nature, il ignore la bassesse, le manège, l'art si nécessaire de faire sa cour pour arriver à la fortune : son mépris pour les noms et pour les titres est si grand qu'il a eu l'imprudence de l'afficher dans un de ses écrits ; ce qui lui a fait, dans cette classe d'hommes orgueilleux et puissants, un assez grand nombre d'ennemis, qui voudraient le faire passer pour le plus vain de tous les hommes ; mais il n'est que fier et indépendant, plus porté d'ailleurs à s'apprécier au-dessous qu'au-dessus de ce qu'il vaut.
Personne n'est moins jaloux des talents et des succès des autres, et n'y applaudit plus volontiers, pourvu néanmoins qu'il n'y voie ni charlatanerie ni présomption choquante ; car alors il devient sévère, caustique et peut-être quelquefois injuste.
Quoique sa vanité ne soit pas aussi excessive que bien des gens le croient, elle n'est pas non plus insensible ; elle est même très sensible, au premier moment, soit à ce qui la flatte, soit à ce qui la blesse ; mais le second moment et la réflexion remettent bientôt son âme à sa place et lui font voir les éloges avec assez d'indifférence et les satires avec assez de mépris.
Son principe est qu'un homme de lettres qui cherche à fonder son nom sur des monuments durables, doit être fort attentif à ce qu'il écrit, assez à ce qu'il fait et médiocrement à ce qu'il dit. M. d'Alembert conforme sa conduite à ce principe ; il dit beaucoup de sottises, n'en écrit guère et n'en fait point.
Personne ne porte plus loin que lui le désintéressement ; mais comme il n'a ni besoins, ni fantaisies, ces vertus lui coûtent si peu qu'on ne doit pas l'en louer ; ce sont plutôt en lui des vices de moins que des vertus de plus.
    Comme il y a très peu de personnes qu'il aime véritablement et que, d'ailleurs, il n'est pas fort affectueux avec celles qu'il aime, ceux qui ne le connaissent que superficiellement le croient peu capable d'amitié : personne cependant ne s'intéresse plus vivement au bonheur ou au malheur de ses amis ; il en perd le sommeil et le repos, et il n'y a pas de sacrifice qu'il ne soit prêt à leur faire.
Son âme, naturellement sensible, aime à s'ouvrir à tous les sentiments doux ; c'est pour cela qu'il est tout à la fois très gai et très porté à la mélancolie ; il se livre même à ce dernier sentiment avec une sorte de délices ; et cette pente que son âme a naturellement à s'affliger, le rend assez propre à écrire des choses tristes et pathétiques.
Avec une pareille disposition, il ne faut pas s'étonner qu'il ait été susceptible, dans sa jeunesse, de la plus vive, de la plus tendre et de la plus douce des passions ; les distractions et la solitude la lui ont fait ignorer longtemps. Ce sentiment dormait, pour ainsi dire, au fond de son âme ; mais le réveil a été terrible ; l'amour n'a presque fait que le malheur de M. d'Alembert, et les chagrins qu'il lui a causés l'ont dégoûté longtemps des hommes, de la vie et de l'étude même. Après avoir consumé ses premières années dans la méditation et le travail, il a vu, comme le sage, le néant des connaissances humaines ; il a senti qu'elles ne pouvaient occuper son coeur et s'est écrié avec l'Aminte du Tasse :
«J'ai perdu tout le temps que j'ai passé sans aimer.» Mais comme il ne prenait pas aisément de l'amour, il ne se persuadait pas aisément qu'on en eût pour lui ; une résistance trop longue le rebutait, non par l'offense qu'elle faisait à son amour-propre, mais parce que la simplicité et la candeur de son âme ne lui permettaient pas de croire qu'une résistance soutenue ne fût qu'apparente.
    Son âme a besoin d'être remplie et non pas tourmentée ; il ne lui faut que des émotions douces ; les secousses l'usent et l'amortissent.

PORTRAIT DE MADEMOISELLE DE LESPINASSE PAR D'ALEMBERT, ADRESSÉ À ELLE-MÊME EN 1771
    Le temps et l'habitude, qui dénaturent tout, mademoiselle, qui détruisent nos opinions et nos illusions, qui anéantissent ou affaiblissent l'amour même, ne peuvent rien sur le sentiment que j'ai pour vous et que
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