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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
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interposée, nous faisait faire presque figure de sinistrés.
    La notion de liberté, qui devient de plus en plus confuse à mesure que nous avançons en âge, nous venait alors que nos mères nous chargeaient d’emplettes chez les commerçants, non sans la recommandation d’être « bien poli et bien aimable ». Ces recommandations visaient surtout le contact avec la boulangère, dispensatrice de crédits, et dans l’estime de laquelle il fallait se maintenir en vue des périodes difficiles. Le pain était alors une grande ressource, et l’on trempait la soupe au dîner, parfois sur un bouillon maigre fait de bouillon Kub, alors dans sa nouveauté, parfois simplement d’une détrempe d’oignons roussis. Viennent les périodes de disette, et les croûtes de pain soigneusement réservées devenaient la base des panades laborieusement et sans joie absorbées.
    Cette liberté, octroyée dans un esprit d’aide, devait, comme trop de liberté, nous incliner à la licence. Ambition longtemps caressée, nous pouvions désormais aller jouer dans la rue où nous venait tout naturellement le goût de la fauche, travers alors commun à la plupart des enfants du quartier. Ça commençait par l’engourdissement d’un roudoudou, d’un bâton de réglisse, d’un cornet-surprise, d’une bouchée au chocolat dans la boutique de la mère Herblot, confiserie voisine de l’école. Durant qu’un copain occupait la commerçante, indécis pour l’achat de trois ronds de bonbons à peser, deux garnements faisaient main basse sur la friandise le plus à leur portée. Cela avait davantage un caractère de farce que celui d’un larcin. Économie de gestes, vitesse d’exécution, déjà des vocations naissaient…, qui allaient s’affirmer aux dépens des étalages de la grande épicerie Raison. Là, les pruneaux et les abricots secs devenaient l’objectif des menottes fureteuses, promptes à se glisser sous le filet protecteur de ces denrées, à la moindre inattention du commis préposé au débit de ce rayon extérieur.
    La fée Électricité n’avait pas encore dispensé ses bienfaits dans les faubourgs, et quelques immeubles dans mon quartier signalaient alors fièrement, en caractères blancs sur une plaque émaillée bleue : « Eau, Gaz et W.C. à tous les étages ». Ce confort annoncé consistait souvent – j’ai connu la chose – en un poste d’eau situé à mi-étage, commun à quatre logements, chacun d’eux étant pourvu d’un branchement de gaz dans la cuisine, que les locataires les mieux nantis faisaient prolonger jusqu’à la salle à manger pour alimenter une suspension. Pour les w.c., les « gogues », dits « à la turque », ils faisaient face au poste d’eau, et se trouvaient dévolus eux aussi au soulagement intime de quatre familles, sujet permanent de querelles amenées par l’embrennage quasi perpétuel des marches de la cuvette de faïence, dont chacun déclinait la responsabilité. Un graffiti d’époque, répété dans presque toutes les tartisses des bâtisses pauvres, intimait alors sans euphémiser : « Chiez dur…, chiez mou…, mais chiez dans le trou…»
    Les goguenots élémentaires étant dépourvus de chasse d’eau, il y stagnait une puanteur abominable d’urée et de caca. Dépourvus également d’éclairage, on ne pouvait s’y aventurer dès la nuit tombée qu’un rat de cave ou une lampe Pigeon à la main.
    Faute d’électricité, réputée alors être l’apanage des quartiers rupins, le gaz s’avérant coûteux pour les condamnés à la mistoufle perpétuelle, la lampe à pétrole devenait d’un grand secours. Le niveau du liquide se contrôlant au travers transparent du corps de l’appareil, cela permettait de limiter à l’indispensable la consommation compatible avec un budget maigriot. Pour cette raison, chez mes parents, la règle en toute saison était de refiler au lit dès dix heures. Aucune entorse n’était admise, pas davantage le prétexte d’une leçon à apprendre que celui du chapitre d’un livre à terminer. À dix heures pétantes, ma mère dépliait les lits-cages et soufflait la calebombe. Ne subsistait plus alors que la lueur tremblante de la veilleuse à huile surmontée de son récipient à tisane.
    Les contemporains de mon enfance se souviendront à quel point l’hygiène était sommaire. À La Chapelle, une toilette rapide se faisait sur l’évier de la cuisine, amenant un va-et-vient de seaux entre le poste d’eau, le
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