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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
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était alors animale, et le cheval, le « gail » en langage populaire, tenait la vedette dans le bestiaire parisien : lourds percherons attelés à deux aux flèches des fardiers, demi-sang dévolus aux livraisons rapides, trotteurs fringants steppant dans les brancards des charrettes légères de la laiterie Gervais, fougueux bourdons à la robe noire tirant à quatre la grande échelle rouge des sapeurs-pompiers, gails de réforme terminant prosaïquement une carrière de monture promise à l’héroïsme, comme cheval de fiacre ou encore d’omnibus. De tout format, de toute robe, les chevaux étaient pour les tout-petits un passionnant sujet d’observation. Vite, nous apprenions à prendre un prudent recul lorsque quelque charmant bourrin, arrêté au trottoir, venait, en cataracte, à soulager sa vessie. Plus intrigante demeurait la mise en érection, sous l’effet de quelque rêverie ou du fumet d’une jument de passage, du membre des chevaux entiers, nombreux à être attelés. Fort éloignés de la puberté, et n’ayant pu sur eux-mêmes constater le phénomène, les bambins en étaient réduits aux hypothèses. Les mamans, traînant par la main une fillette, et surprises par l’impudique exhibition, pressaient alors le pas, crainte de s’entendre poser d’embarrassantes questions.
    Les chiens, dits familièrement « clebs » ou « clébards », autre engeance scandaleuse, se chevauchaient gaillardement en pleine rue, au hasard des rencontres, mais paraissaient ne devoir être un objet de gêne pour les adultes qu’en raison d’un accolement par trop prolongé. Invectives et casseroles d’eau froide pleuvaient alors vite sur les clébards, victimes de leur trop grande ardeur.
    S’il existe des modes chez les possesseurs d’animaux, elle était, en ce début du siècle à La Chapelle, aux perroquets. J’ai le souvenir très vif de celui de notre boucher, banalement baptisé « Coco ». Son plumage, où dominaient les verts, et son embonpoint de volatile bien nourri, faisaient honneur à ses maîtres et devaient attirer le chaland curieux d’échanger quelques phrases avec l’oiseau. D’aucuns, parmi les clients de la boutique, se flattaient d’être reconnus par Coco et n’auraient à aucun prix acheté leur bidoche chez un louchébem concurrent.
    Tous les perroquets ne montraient pas l’urbanité et la tendance au dialogue de l’illustre Coco. Une famille luxembourgeoise, poivrots solides, créchant au-dessus de chez nous, en possédait un, modèle de discrétion. Il fallait que ces gens, chez qui la contestation, suivie de bruits de vaisselle et de bagarre, sévissait de façon endémique, atteignent un niveau élevé de vociférations, pour que l’oiseau mêle sa voix croassante au concert d’injures et de défis. Une phrase clé semblait décider de son intervention :
    — Dis le vieux, où tu l’as mis le gendarme que t’as tué dans ton pays ! lançait le fils à son daron.
    Et le perroquet excité de clamer inlassablement : « Salope ! Salope ! Salope ! Salope ! », l’unique mot de son vocabulaire d’oiseau.
    Peu de chats dans le quartier, ces félins domestiques étant jugés trop malodorants dans les logements exigus des maisons de rapport pour paumés, et surtout trop coûteux à nourrir, même de bas abats, mou ou rate, qu’en période de disette les ménagères astucieuses parvenaient à rendre comestibles pour les humains. En outre, le matou, indépendant et fugueur, avait une fâcheuse tendance à disparaître sans laisser de traces, sinon dans la marmite des gueux de la zone, ayant, trente ans après le sinistre siège de Paris, conservé dans la tribu la recette de la « gibelotte de minet ».
    L’élevage des canaris était surtout pratiqué par les personnes d’âge, de ressources assurées, le ravitaillement des piafs en graines et échaudés se révélant ruineux pour les budgets incertains du plus grand nombre. La mère Boutin, notre concierge, disait, parlant des pensionnaires de sa volière : « Ces dégueulasses, ça mange pareil qu’une vache. »
    De tous ces animaux familiers, mon préféré a longtemps été l’écureuil du bouif de la rue Pajol. Malgré l’odeur rebutante de vieilles godasses sourdant de l’échoppe, j’ai passé, à chaque retour d’école, la classe terminée, de longues minutes à admirer ce petit bestiau au poil fauve, animant d’un mouvement vif sa cage circulaire. Il fallait que, rompu de fatigue,
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