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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
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l’écureuil s’accorde une petite pause, ou que la perspective de la tablette de chocolat du goûter l’emporte, pour que je reprenne le chemin de la maison. Ce n’est que beaucoup plus tard – l’enfance est dépourvue de sensibilité –, que m’est venu à l’esprit que la ronde du petit prisonnier, loin d’être un jeu, pouvait avoir été une perpétuelle et décevante tentative d’évasion.
    Enserrée, je l’ai dit, entre la ligne du chemin de fer de l’Est et celle du chemin de fer du Nord, La Chapelle, avec ses façades noircies par la fumée des locomotives, aurait pu sembler porter le deuil de la gaieté. Il n’en était rien, et périodiquement les bals du 14 juillet et les baraques foraines de la fête donnaient le signal des réjouissances populaires. Déjà, l’arrivée des forains, le montage des manèges étaient comme un lever de rideau à ce qui allait suivre. Débauche de lumière et de bruit, il régnait en nappe sur toute la fête une atmosphère faite d’odeur d’acétylène mêlée à celle de la vanille des fabricants de berlingots et de barbe à papa. Le spectacle était permanent devant les baraques de lutte et celles où devaient s’exhiber des phénomènes que, démunis de monnaie, nous en étions réduits à imaginer. Au vrai, pour la petite enfance dépourvue de l’argent de poche, devenu de nos jours une sorte de dîme, nous étions surtout spectateurs. L’achat du plus humble cochon de pain d’épice nous était interdit, tout comme l’était la griserie, imaginée, des balançoires à vapeur.
    La musique, si libéralement et abusivement diffusée de nos jours, était en ce temps un plaisir d’une grande rareté. L’accordéoniste aveugle, scandant de la tête Poètes et Paysans , faisait refluer les flâneurs, vite agglutinés en un cercle étroit. Et les chanteurs des rues suscitaient un attroupement tel que les flics tardaient rarement à surgir afin de dégager la chaussée par la foule obstruée. Le limonaire géant du Roi du Café , bistrot chic du quartier, rassemblait, dès les premières mesures de son répertoire, un parterre d’auditeurs comblés, mais trop démunis pour prendre place à la terrasse. Les soirs d’été, une musique régimentaire venait, une fois la semaine, se produire dans le kiosque du square Hébert. Quelques rares troquets avaient bien tenté de fixer leur clientèle grâce au phonographe à pavillon ; ils avaient dû vite y renoncer, trop de consommateurs prétendant tourner la valse tourbillon aux flonflons de l’appareil en venaient à se disputer les rares cavalières, d’où défis, bagarres et bris de matériel.
    Le joueur d’orgue de Barbarie, moulant sur sa boîte sonore les premières mesures du Carnaval de Venise ou du Beau Danube bleu , faisait lui aussi recette. Et nous, bambins, l’entourions d’une admiration respectueuse, allant davantage au ouistiti qu’il tenait perché sur son épaule qu’aux sons tirés de sa boîte à musique.
    C’est vers ma cinquième année que j’ai senti, pour la première fois, les effets d’une intense émotion populaire amenée par la grande inondation de 1910. À l’accoutumée, une règle rigoureuse voulait qu’on ne parlât pas devant les enfants des affaires, des mœurs et des coutumes du monde adulte, mais en cette circonstance, un parent étant sinistré, le sort contraire permettait de mettre la famille en vedette. C’est à cette occasion que surgit dans ma kyrielle de parents un oncle supplémentaire, mon grand-oncle Rafour, frère de ma grand-mère, un laborieux venu de sa Bresse natale en sabots, comme on disait alors, et qui avait à Paris gagné ses premiers francs en déchargeant des péniches de chaux lors de la construction de l’usine à gaz de Gennevilliers. Le site, bien qu’ingrat, avait dû lui plaire, puisqu’il s’était fixé dans cette plaine, non loin des champs d’épandage, glèbe fertile à laquelle il faisait rendre des charretées de légumes, peut-être un peu odorants à la cuisson, mais de bonne vente sur les marchés de plein air. Vite l’oncle Rafour avait doublé son activité de maraîcher par un négoce de salaisons, aidé par des cousins et des cousines, neuf en tout, dont je n’ai jamais pu retenir les prénoms. Ce nouvel oncle paraissait parti pour une belle réussite lorsque la Seine débordante avait englouti dans sa cave sa réserve de jambonneaux, de lard, d’échine et de petit salé, ce qui, par personne
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