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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
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magie.
    J’avais, quant à moi, deux modèles d’une assez jolie stature à admirer. L’oncle Pierre tout d’abord, inventeur de son état, qui recevait fidèlement chaque jeudi ma visite. Ce diable d’homme avait pour base de son industrie des appareils à sous de sa conception. J’ai passé des journées entières à l’admirer, fignolant, sur un tour de précision à pédale, des pièces minuscules, et son exemple aurait dû m’incliner vers les activités manuelles. Je n’ai recueilli de lui qu’un goût tenace pour la photographie, art qu’il pratiquait avec bonheur, et ma joie était grande lorsqu’il m’admettait à assister au développement de ses clichés dans l’ambiance un peu mystérieuse de son cabinet noir. C’était, dans la famille, l’oncle riche, possesseur bien avant 1914 d’une automobile avec laquelle il allait déposer des appareils de son invention dans les troquets populaires. Voiture à deux fins, car la nuit tombée, et certains jours, oncle Pierre et tante Henriette, sœur de mon père, se métamorphosaient en mondains, frac huit reflets, robe vaporeuse, pour aller entendre un opéra.
    J’avais aussi, comme sujet d’admiration et de surprise, l’oncle Frédéric, horloger en boutique aux Batignolles. La difficulté des correspondances des tramways interdisait que je le voie aussi fréquemment que l’oncle Pierre. Mais les difficultés de transport surmontées, l’accueil dans sa boutique méritait le voyage. À notre entrée, l’oncle et mes deux cousines, Marthe et Germaine, levaient la tête avec ensemble de la montre ou du réveil qu’ils étaient en train d’autopsier, chacun d’eux ayant vissé dans l’orbite une loupe de corne noire qui leur donnait l’apparence de monstres marins illustrant le Journal des Voyages. Ce trio, l’oncle et les deux cousines, était illustre dans la famille pour avoir, de ses mains, bâti à Sartrouville un pavillon spacieux, lui maçonnant, elles gâchant le mortier et passant les briques. J’ai passé des après-midi à les regarder travailler, attendant, quand le jour déclinait et que s’allumaient dans la boutique les becs Auer, l’instant de la métamorphose de l’oncle. Le soir s’accentuant, oncle Frédéric disparaissait dans l’arrière-boutique, puis réapparaissait. Sa blouse grise avait fait place à une blouse bleue de grosse toile à plis raides. Il était coiffé d’une casquette de cuir et portait un bambou ajustable en deux pièces le long duquel serpentait un tube de caoutchouc terminé par une poire. L’oncle Frédéric s’en allait allumer les réverbères.
    Je ne dois pas oublier, dans mon admiration enfantine, l’oncle Achille, dont on disait qu’il avait été banquier, mais que des revers dus à des imprudences avaient contraint à se retirer en province à Saint-Étienne, où il tenait un cabinet d’affaires. C’était un personnage jovial dont la venue épisodique m’enchantait toujours, étant l’occasion d’aller déjeuner au restaurant, car il invitait généreusement. Qu’on sache qu’alors un repas hors de la maison était, dans mon faubourg natal, un événement qui ne devait pas se reproduire plus de dix fois dans une existence. L’oncle Achille, d’origine méridionale, était riche d’anecdotes sur sa profession, et riche de souvenirs de théâtre dont il paraissait être fort amateur ; aussi poussait-il volontiers, d’une voix de basse-taille colorée, l’amorce de quelque grand air.
    L’oncle Frédéric, lui, auvergnat, traînait un accent tout différent. Différent encore était le phrasé de l’oncle Nicolas, pâtissier à Lunéville, dont la venue à Paris s’accompagnait toujours d’un gigantesque pâté en croûte, dont je n’ai, hélas, jamais rencontré le rival. L’oncle Nicolas avait coutume de me remettre au moment de son départ une pièce de cinq francs. J’avais, moi, innocent, l’imprudence d’en faire état auprès de mon père qui captait vivement cette thune, m’assurant qu’il allait la déposer à la Caisse d’Épargne. Au vrai, nourrissant son indestructible illusion sur les chances d’un outsider, c’est à la baraque d’un pari mutuel que devaient s’engloutir mes placements enfantins. Qu’on n’aille pas croire que je nourrisse envers mon papa une tenace rancune. Les choses étaient ainsi et c’est de la meilleure foi du monde que le brave homme devait rêver d’un coup de trois triomphal qui l’aurait sorti d’affaire,
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