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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante
Autoren: Pierre Magnan
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avait déjà dix jours qu’ainsi installée, immobile chaque
nuit, elle vouait le peuple des hommes au courroux d’on ne sait qui. Mais le
peuple du parvis Notre Dame, par son silence soudain, ne s’y trompait pas.
C’était vers lui que la menace était brandie. Les siècles n’étaient pas venus
où l’on considérerait ces apparitions comme des merveilles.
    Le prêtre, horrifié par ce qu’il venait de faire, porter
l’extrême-onction sur un plat de viande humaine, prit à peine le temps de
regagner le presbytère. C’était un vieux prêtre qui avançait lentement. Alourdi
par les instruments du culte, il n’avait pas eu le temps d’avertir un acolyte
et la croix au bout de sa hampe pesait à son corps fragile. Il se demanda un
moment ce que signifiait cette lumière discrète qui osait à peine troubler
l’ordonnance du ciel mais il n’eut pas le loisir d’approfondir, un accès de
peste foudroyant ne lui donna que celui d’ouvrir péniblement sa porte. Il
s’affala dans le vestibule au pied de l’escalier. Les instruments du culte
tintinnabulèrent sur les carreaux blancs et noirs ; longtemps, longtemps,
à côté du grand corps sombre, ils brillèrent sous le clair de lune paisible qui
descendait de l’imposte.
     
    Manosque
baignait dans la nuit du malheur. Une étrange chape de silence que ne troublait
même pas la rumeur des fontaines s’était alentie sur la ville dès la tombée du
jour. C’était le silence qui se produit à travers les âges chaque fois que la
colère de Dieu aura décidé de clairsemer les hommes, un silence de
stupéfaction, un silence d’humilité.
    En un peu
plus d’une semaine, en toute impartialité, la peste avait retranché la moitié
de chaque famille, parfois seulement deux membres sur six, parfois entièrement.
Ceux qui avaient une foi profonde ou savaient louvoyer entre les embûches de la
nature (ne pas boire, manger avec circonspection et s’enduire d’huile de cade
pour enivrer les puces), ceux-là crurent en réchapper et ne moururent qu’un peu
plus tard.
    La
terreur suintait dans les alcôves. Les femmes s’éveillaient en sursaut au
sortir d’un cauchemar et tâtaient éperdument le conjoint maugréant. Savoir s’il
était toujours en vie ? Savoir s’il n’était pas déjà froid ? Puis en
un geste de panique elles se palpaient vigoureusement les aisselles. Savoir si
les bubons ne commençaient pas à gonfler sous les poils follets ? Savoir
si cette transpiration parmi le duvet était naturelle ? Et ces rats, mon
Dieu, qui infestaient le grenier ! Et le chat qui est mort en travers de
la porte, qu’on enjambe depuis trois jours, démesurément long, le corps incurvé
en croissant de Diane et que personne encore n’avait osé repousser du pied
jusqu’au caniveau innommable où suintait une puanteur mordorée.
    — Il
faudrait pourtant l’enlever de là !
    — Qu’est-ce
que tu dis ?
    Le
conjoint se soulevait sur le coude. Le gland du bonnet de nuit oscillait
déséquilibré devant les yeux du bourgeois qui louchait.
    — Je
dis le chat ! Je dis que ce chat il faudrait le lever du milieu avant
qu’il pourrisse ! Sans ça on est perdus !
    — Demain !
    Le
conjoint retombait lourdement sur les draps bistre à force d’être sales car on
n’osait plus les porter au lavoir par crainte des autres, par crainte que les
autres, tous les autres, ne soient en train de couver la maladie, sous leur
sournoise apparence de Manosquins bien-portants.
    — Dors !
Fous-moi la paix ! On est perdus de toute façon, alors !
    Et il
recommençait à ronfler ! Mon Dieu ! Comment pouvait-on dormir avec
cette angoisse au ventre ? Comment pouvait-on dormir alors qu’en se
penchant légèrement vers la lucarne dont on avait relevé la peau de chèvre qui
servait de contrevent, on pouvait apercevoir le voisin Didon plié en deux à son
fenestron telle une literie mise à l’air ? Il était là depuis trois jours.
    Déjà un peu ivres d’être repues, les mouches immobiles sur son visage
noir attendaient que se forme la goutte intermittente qui mettait longtemps à
se gonfler pour enfin, une fois trop lourde, se détacher du bout des doigts et
s’écraser en bas, dans la rue. De sorte que le voisin Didon aux bras pendants
avait assez l’air d’un perdreau mis à mûrir pour le manger bientôt.
     
    C’était le
moment où le Poverello venait de franchir sans encombre la porte de
Guilhempierre qui n’était pas achevée et que nul
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