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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante
Autoren: Pierre Magnan
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ne gardait, sans doute faute
de consul. Depuis qu’ils étaient entrés dans la ville, le gonfalonier de
Lombroso avait déployé le gonfanon du duc. Il portait haut levé le lourd
attribut de la puissance de Mantoue. L’emblème de l’hégémonie lombarde figurait
la tête de Méduse rayonnante comme un soleil et cloutée de velours cramoisi. Il
avait grande allure lorsqu’il claquait au vent du soir.
    Ce fut
dans cet équipage provocant que le Poverello se trouva soudain nez à nez avec
la dépouille du voisin Didon pliée en deux à son fenestron.
    Ces
Didon, quoique maigres, avaient toujours eu le buste bref. Leurs jambes
pesaient plus que leur torse et leur tête minuscule, de sorte que, pour
celui-ci, l’insolite position de sa dépouille s’expliquait par ce défaut
d’anatomie.
    On
n’avait jamais vu encore un pestiféré défenestré et la langue pendante.
Poverello arrêta le gonfalonier d’un signe de la main. Le cheval de labour
qu’on avait alloué à celui-ci portait derrière la selle quantité de petites
planchettes déjà vernies et propres au dessin. En outre, le compagnon était
pourvu d’une sorte de cartouchière adornée de godets de peinture fichés dans le
cuir de la ceinture. Poverello s’était réservé deux plumes d’oie à sa chasuble
et quelques fusains aux trousses de ses chausses. Il se mit à croquer à loisir
le cadavre du pauvre Didon, et son génie était tel qu’avec deux seuls fusains
il parvint en quelques minutes à rendre réels le corps martyrisé et sa couleur
déjà cendrée.
    L’étrange
équipage toujours sommé de l’étendard rouge et or se répandit de par la ville.
Le jour radieux se levait. Dans l’insolite silence qui régnait, les sabots des
chevaux sur les calades sonnaient avec arrogance. Les Lombards atteignirent la
place des Escarayats ainsi nommée à cause des assassins qui y subissaient
parfois le supplice de la roue. Cette place on avait voulu l’égayer d’une
fontaine. Son canon vomissait joyeusement une eau abondante à coups de hoquets.
Là gisait le second cadavre. C’était un médecin à masque de corbeau et vêtu de
noir comme un prêtre, lequel avait esquissé le geste de boire avant de tomber
en avant contre la margelle. Son faux nez bourré d’aromates baignait piteusement
dans l’eau du bassin. Le Poverello le croqua avec la même allégresse que le
voisin Didon. L’Enfer de San Andréa commençait à se peupler. Le Poverello
remettait les deux ou trois planchettes déjà utilisées aux flancs du caparaçon
macabre. Il en prenait d’autres. Il marchait de plus en plus vite par les
ruelles, guidé par le son timide du tocsin qu’on percevait à peine à la seule
cloche de Notre-Dame et qui bientôt expira.
    C’était
le moment où le Poverello et son mentor découvraient la place de l’église. Sur
le parvis régnait le silence. Tout le monde avait fui sauf les morts, dont les
écuelles étaient encore pleines de viande gelée. Sous les masques comiques qui
n’étaient pas tombés, les visages en lambeaux étaient miséricordieusement
cachés.
    Soudain,
des ruelles adjacentes jaillirent sous leurs cagoules des pénitents blancs, des
pénitents bleus et quelques pénitents rouge sang dont la chasuble trouée de
regards farouches disait assez leur extraction : c’étaient des bouchers
qui venaient aussi enterrer les morts. La place grouillait entre les tréteaux
de ces hommes qui sortaient d’un carnaval d’enfer. Parfois il leur restait une
jambe entre les mains et alors ils lâchaient le corps qu’ils transportaient
pour se disputer cette maigre dépouille. Étant payés tant par cadavre, depuis
qu’il y en avait telle quantité, ils perdaient la tête. Ils faisaient des
châteaux en Espagne sur leur salaire. L’esprit de lucre les rendait hargneux.
Cette hargne entre pénitents était aussi chose toute nouvelle pour le Mantouan.
    Il
n’avait jamais été à pareille fête. Il dessinait à tour de bras. Jamais la
géhenne n’aurait été aussi réelle sous le dôme d’une église italienne. Le
peintre travaillait dans l’enthousiasme. On eût dit, à ses exclamations, qu’il
avait découvert un coin à champignons.
    Mais il
s’aperçut soudain que son mentor cessait de lui approcher obligeamment la
ceinture à pots de couleurs et qu’il se glissait vers l’odeur de la daube
laquelle mijotait doucement sur les braises d’enfer où quelques pauvres sans
doute qui n’avaient rien à manger avaient jeté
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