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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante
Autoren: Pierre Magnan
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vigilance universelle d’un saint-bernard pour
soulager le malheur de tous ceux qui m’approchent. Vous savez que j’ai porté la
soupe chaque soir et l’inépuisable optimisme de ma conversation à de vieilles
dames de Forcalquier qui n’avaient plus que moi pour se plaindre du temps qui
fuyait entre leurs doigts, leur arrachant même de la mémoire leurs souvenirs.
Imaginez alors ce que fut ma compassion pour cet être au destin tragique que
fut Aigremoine quand elle tomba dans ma vie.
    Si vous
n’avez pas le courage d’affronter la vérité, jetez cette lettre. Pourtant il
faut bien que vous envisagiez vous aussi les intermittences du cœur. Vous
connaissez ma vie, mon caractère et mes errements. Je vous en ai fait très
souvent le témoin.
    Sachez
donc que j’ai honoré le corps d’Aigremoine jusqu’à sa mort. Elle mourut ma
bouche sur son ventre. Julie m’enlaça de dos, je sentis contre mon cou les
larmes de sa désolation. Depuis le commencement de la nuit, nous la sentions
fondre, Aigremoine, entre nos bras fraternels, nous échapper. Julie voulut
s’emparer de moi qui m’écartai d’Aigremoine en le seul réflexe d’horreur qui
m’ait jamais échappé. Celle à qui elle appartenait désormais, livrée aux
mystérieuses transformations qui allaient suivre cette possession, venait de me
repousser violemment. Je me redressai. Les yeux d’Aigremoine étaient ternes. Je
rabattis doucement les paupières sur les globes sans reflet.
    C’était
fraternellement aussi que Julie voulut m’offrir son corps vivant pour
m’apporter l’oubli immédiat de celui qu’on venait de souffler. Je l’écartai
doucement. Ce n’était pas elle que j’aimais, c’était la morte.
    Voilà,
madame, le récit de mon échec total. Aigremoine était morte sans Dieu comme
elle avait vécu, dans le même stoïcisme et la même ignorance consciente. Mes
derniers efforts n’avaient pu entamer, de mon épouse bien-aimée, l’intime
conviction.
    Ainsi, ma
chère Tiphaine, je vais terminer l’histoire de cette famille qui va s’enliser
et se perdre dans la machinerie mystérieuse de la postérité, passage digestif
fait pour tout assimiler et tout oublier aussitôt ; tache d’humidité que
le soleil absorbe.
    L’arbre
encore pour quelque temps témoignera par son cadavre encombrant, mais comme
toute chose il finira par se désagréger, les branches les plus grosses se
détacheront du tronc. Un jour quelque marchand de bois viendra vous dire :
    — Qu’est-ce
que vous en faites de ce tronc ? Je vous l’achète !
    Et il le fera
débiter en bûches et il ira finir dans les cheminées d’alentour.
    Sur ce
chêne, j’ai fait prélever par les compagnons les quatre planches du cercueil
d’Aigremoine et voici où je voulais en venir.
    Je vous
lègue ce château et toutes ses dépendances pour qu’il résonne des harmonies que
vous savez si bien évoquer. L’acoustique y est fort bonne et vous vous
souviendrez de moi et vous pourrez comme autrefois y faire résonner les accents
que vous interprétiez pour moi à quinze ans sans le savoir (j’avais douze ans
et j’étais caché dans le manteau de la cheminée), la Sonate au clair de lune que j’entends ce soir s’égrener en moi avec les accords d’autrefois. (Vous
souvenez-vous. C’était au château de Montmaur ?)
    En
échange de ce don que je vous fais, je ne vous demande qu’une seule
chose : j’ai fait creuser à l’emplacement de l’arbre, là où était
ensevelie la mer d’Airain, le tombeau d’Aigremoine assez vaste pour contenir
aussi le chef-d’œuvre d’Hiram que j’y ai fait descendre par les compagnons de
Tempier. Vous trouverez aux écuries, derrière une stalle, douze mètres de
chaîne à puits. Je veux que vous fassiez sceller mon cercueil à celui
d’Aigremoine. Tempier se chargera de ce travail s’il est encore en vie.
    Ainsi nos
poussières, à elle et à moi, par la chimie de nos pourritures enfin mêlées dans
nos cercueils vermoulus, seront à l’abri mystérieux de la terre mère de notre
sort. Il se fera que nos âmes purifiées se rejoindront dans l’éternité de leur
conscience morte. La contraction du sol les blottira l’une contre l’autre
jusqu’à l’osmose parfaite. Notre sépulture aussi s’écrasera sur nous et sera
pulvérisée.
    Mais le
chêne que je vous demande de planter sur notre tombe témoignera que nous avons
vécu.
    Et peut-être que quelque berger d’Arcadie, quelque jour, viendra
admirer
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