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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante
Autoren: Pierre Magnan
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n’osa jamais figurer
le visage de l’Éternel ni à plus forte raison le décrire à quiconque. Alors ils
l’ont tué.
    Paul me
disait tout cela de sa voix posée, un peu traînante. Et moi je buvais ses
paroles comme autrefois, à neuf ans, quand il me serrait le bras et tendait le
doigt vers la tombe voisine en s’écriant : « Regarde ! » Il
venait de voir traverser l’air l’âme du Martin-Darnagas mort depuis trente ans.
    Paul
hocha la tête.
    — Tu
sais, c’est toujours l’histoire d’Œdipe et de son énigme. S’il était si fort
pour découvrir les énigmes, pourquoi il n’a pas compris tout de suite que
Jocaste était sa mère ? Et les assassins d’Hiram, puisqu’ils étaient
disciples de la même foi en l’Éternel, pourquoi ils ont eu besoin de lui en
demander l’essence ?
    Il me
disait tout cela de sa bonne grosse voix. Je lui demandai à
brûle-pourpoint :
    — Et
Aigremoine, tu penses qu’elle va croire en voyant ?
    Il me
regarda avec pitié.
    — Si
elle a pas cru en naissant, tu sais, toutes les preuves que tu voudras…
    Néanmoins,
je m’obstinai. Je ne voulais dévoiler le chef-d’œuvre à ma femme que lorsqu’on
l’aurait reconstitué. Là, peut-être, elle éprouverait un choc et à partir de là
mon amour persuasif pourrait peut-être l’atteindre.
    J’avais
séparé par un paravent le salon de la salle à manger. Aigremoine ne descendait
presque plus le grand escalier et demeurait en sa chambre servie par Julie qui
ne la quittait plus. Mais même à Julie je ne voulais montrer l’œuvre
qu’achevée.
    Déjà les
quadriges avaient été déposés sur le sol du salon. Les compagnons avaient
disposé des sacs de jute pour faire un chemin afin de ne pas abîmer les damiers
noirs et blancs qui faisaient l’orgueil du hall.
    Ils se
hâtaient depuis le tertre, en un va-et-vient constant de fourmis au travail.
Ils avaient constitué un filigrane en treillis métallique et ils palabraient
tout autour en échangeant leurs idées sur tel fragment ou sur tel autre.
    Les trois
autres quadriges avaient été retrouvés intacts, et ceux-ci contrairement au
premier étaient tous pourvus des cornes rectilignes bien droites qui n’avaient
aucun rapport avec les bovidés de nos régions. Chaque quadrige était aussi
lourd qu’une enclume et il avait fallu leur faire franchir les marches du
perron à l’aide d’un éfourceau que trois hommes attentifs soutenaient.
    Comme
Cuvier remodela le diplodocus à l’aide d’une seule vertèbre, Tempier essayait
de reconstituer le cratère de bronze en prenant comme base de son travail les
quadriges placés dans la salle à manger aux quatre points cardinaux. Par
bonheur, ayant résisté au temps grâce à leur masse compacte, ils étaient tous
intacts. J’avais montré à mon ami la figure de l’ancien dictionnaire
représentant la mer d’Hiram et je peux dire que, durant tout le temps que dura
la reconstitution, je restais là, regardant de tous mes yeux, examinant le
moindre débris que je touchais avec vénération.
    L’atmosphère
respirait l’odeur âcre du métal rougi à blanc mariée à celle de l’oxygène qui
se sublimait en flammes bleues et roses. Peu à peu, le cratère d’airain livrait
son mystère.
    Les
forgerons apportaient en triomphe le plus petit éclat qu’ils nettoyaient
religieusement, s’efforçant d’identifier la place que le fragment devait tenir
dans l’ensemble.
    Tout en
coupant des lamelles de fromage avec leurs opinels, ils s’offraient, comme en
un banquet, de longs conciliabules contradictoires autour de la grande table de
la salle à manger où se lisaient encore les flétrissures de cire chaude et de
fonds de plats brûlants, témoins de trois cents ans de ripailles en des fêtes
perdues.
    D’un côté
de cette table étaient étalées, comme en une exposition de fossiles, les
moindres traces de métal arrachées à la digestion de l’arbre, et de l’autre,
soigneusement épinglée, une feuille de papier Canson où ils dessinaient à
tâtons comme un puzzle les parties manquantes de la mer d’Hiram.
    Chaque
matin, quand devant eux le cratère commençait à révéler sa forme, ils se
découvraient devant lui. Ils recréaient les baptêmes sacrés qui avaient dû se
célébrer autour de cette cuve et cela leur imposait le chuchotement d’église où
se limitaient leurs rares paroles.
    Leur
travail d’artisan était irréprochable. Même les parties qu’ils avaient dû
imaginer
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