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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1
Autoren: Alain Decaux
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trente. »
    En 1980, les Nouvelles littéraires ont publié l’interview du tout dernier survivant des mutins du Potemkine   (4) . Il se nommait Ivan Bechoff. Né à Dublin, il avait quatre-vingt-seize ans. Que racontait-il sur l’origine de la mutinerie ? Ceci : « Un marin, mon cher ami Vakulinchuk, s’est approché de l’officier en second pour protester contre les conditions de vie de l’équipage et demander des rations plus fraîches. L’officier – je m’en souviens comme s’il était encore devant moi – était un vrai tyran, un aristocrate polonais nommé Giliarovsky. Il a écouté le marin puis, froidement, l’a abattu d’une balle dans la tête. Un autre marin, qui était près de l’officier, l’a désarmé et l’a tué après une lutte féroce. Il a ensuite jeté le corps à la mer. Ce fut le début de la révolte. »
     
    Résumons : si nous ne savons pas en toute certitude comment la mutinerie s’est déclenchée, nous sommes sûrs que l’on n’a apporté aucune bâche sur le pont et que, très probablement, Giliarovsky n’a pas commandé le feu. A-t-il ordonné aux hommes de former les rangs ? Cela paraît fort invraisemblable. On voit mal un second, lui-même féru de discipline, aller délibérément à l’encontre d’un ordre donné par son supérieur.
    Ce qui reste certain, c’est que les meneurs se sont précipités vers l’armurerie et se sont emparés d’armes. Giliarovsky se trouvait sur le pont et a tenté de rétablir l’ordre. Un coup de feu a été presque aussitôt tiré. Les armes se trouvant rangées dans la batterie, le matelot Vakulinchuk y a couru l’un des premiers. Il venait d’en remonter, un fusil à la main quand la balle l’a frappé. Grièvement blessé, Vakulinchuk s’est effondré. Matushenko, armé lui aussi, s’est élancé. Giliarovsky l’a vu, lui a crié de jeter son arme. La réponse de Matushenko :
    — Faudra que tu me tues d’abord ! Débarrasse ce bateau, il est à nous maintenant !
    Les deux hommes se sont affrontés. Matushenko s’est trouvé le plus rapide. Giliarovsky, frappé mortellement, s’est effondré sur le pont.
    Dès lors, tout va très vite. Le coup de feu tiré sur Vakulinchuk met l’équipage hors de lui. La chasse aux officiers s’organise. On jette à la mer le cadavre de Giliarovsky, on s’empare du médecin major Smirnov. On l’assomme :
    — Voilà pour toi, canaille, qui voulais nous empoisonner !
    Lui aussi, on le jette à la mer. On massacre plusieurs autres officiers. D’autres, terrorisés, sautent à l’eau et rejoignent à la nage le torpilleur N. 267 qui escorte toujours le Potemkine . Reste le commandant. Les marins se saisissent de lui. Il les supplie :
    — Mes enfants, je suis votre père, je suis vieux, épargnez-moi !
    On le tue à coups de sabre. Malgré tout, on commence à se lasser. Matushenko juge le moment propice pour reprendre l’équipage en main. À son tour, il grimpe sur le cabestan. Tous les témoins ont évoqué son réel talent d’orateur. Il sait qu’il joue une rude partie. Il s’adresse à des mutins d’occasion, dont l’immense majorité n’est pas politisée. Ils ont agi sur un coup de tête et il sent que, déjà, leur exaltation est retombée. Ce qu’il veut leur faire comprendre, c’est qu’ils tiennent leur propre bonheur entre leurs mains. Dans un silence absolu, l’équipage l’écoute :
    — La Russie attendait l’instant de se dresser et d’arracher les chaînes de l’esclavage ! Le grand jour est proche. Et c’est de votre bâtiment qu’est partie la révolution ! Bientôt les autres unités de la flotte de la mer Noire se joindront à nous, bientôt nous opérerons la jonction avec nos frères de la côte, ouvriers et paysans ! Dans tout le pays, des révoltes éclatent déjà… Des soulèvements dans les champs de Bessarabie et d’Ukraine, des grèves dans les usines d’Odessa et de Sébastopol… Nous possédons la plus puissante unité de la flotte avec les canons les plus gros. Le Potemkine peut se battre contre des armées entières et avoir raison d’elles. Mais nous serons impuissants si nous ne sommes pas unis. C’est pourquoi il nous faut de la discipline !
    On l’acclame. Sur cet élan on nomme commandant le lieutenant Alexeïev épargné parce que l’équipage l’aime bien. On élit un comité révolutionnaire de vingt membres. On proclame Matushenko président. On lui donne deux adjoints : Mikishkin
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