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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36
Autoren: Alexandre Najjar
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vilain toit en tôle, construite avec des planches de bois qui laissaient entrer le vent, de sorte qu’il fallait, l’hiver, boucher les interstices avec des chiffons, elle se composait de trois pièces exiguës : deux chambres à coucher sans placards (les pantalons troués, les robes dépenaillées, les salopettes décolorées étaient suspendus aux murs), l’une avec un lit pour les parents, l’autre sans lit pour les enfants, et une cuisine où trônaient un vieux fourneau et une table rectangulaire entourée de bancs. Au moment des moissons, Cannon gardait la majeure partie de la récolte et lui rétrocédait le reste après avoir déduit les frais de bouche et le loyer.
    Henry Owens se regarda dans le miroir. Il vieillissait. « Il est peut-être temps de changer de vie », se dit-il. Il avait certes déjà rêvé de quitter cette ville d’Oakville minée par la misère pour assurer un avenir meilleur à ses enfants, mais pour aller où ? Les temps étaient difficiles et les Noirs éprouvaient le plus grand mal à trouver du travail. Chez M. Cannon, au moins, il était sûr de ne pas crever de faim.
    — Henry, viens vite !
    C’était la voix d’Emma. Alarmé, il s’essuya le visage à la hâte et accourut. Il trouva sa femme à genoux, au chevet du benjamin de la famille, James Cleveland, plus communément appelé « JC  1  », cinq ans à peine – il était né le 12 septembre 1913, un jour à jamais gravé dans sa mémoire.
    — Que se passe-t-il ?
    — Voilà que ça recommence ! balbutia-t-elle.
    Henry fronça les sourcils. L’enfant avait la gorge enflée, respirait difficilement. Que faire ? Il ne connaissait rien à la médecine. A qui s’adresser ? Le médecin le plus proche se trouvait à Birmingham, à cent kilomètres de là. Comment le prévenir ? Et, à supposer qu’il lui fût possible de se déplacer, comment le payer ? Henry s’assit près de son fils et posa la main sur son front pour le réconforter. Il assista au réveil successif de ses autres enfants – Ida, Josephine, Lillie, Prentice, Johnson, Henry, Ernest, Quincy et Sylvester –, gênés dans leur sommeil par les râles de leur frère.
    — Tu vas être en retard à ton travail, soupira Emma en lui tapotant l’épaule.
    — Tu t’en sortiras seule ?
    — Ne t’en fais pas, Henry. Tout ira bien, si Dieu le veut.
    Il regarda son épouse, un petit bout de femme à la peau d’ébène, portant de grandes lunettes aux verres épais, et se demanda ce qu’il aurait fait sans elle. Puis il l’embrassa tendrement et sortit.
     
    Le soir, de retour à la maison, Henry trouva son fils dans un état critique. L’enfant était livide, respirait à peine. L’abcès était devenu si volumineux qu’il semblait gagner la poitrine. Ses frères et ses soeurs l’entouraient, impuissants, complètement désemparés. A bout de nerfs, Emma prit son mari à l’écart et lui dit à mi-voix :
    — Je vais crever l’abcès coûte que coûte.
    — Tu es folle !
    Elle secoua la tête.
    — Nous n’avons plus le choix, Henry. Nous devons faire quelque chose…
    Prenant son courage à deux mains, Emma gagna la cuisine, souleva le couvercle du fourneau, introduisit une bûche dans l’âtre et se mit à chauffer à blanc un long couteau effilé qu’elle utilisait pour couper la viande à Noël. Revenue auprès de son fils, elle lui ordonna d’ouvrir la bouche.
    —  No, Momma, no  ! supplia JC.
    Elle ne l’écouta pas. Elle introduisit avec mille précautions la lame dans sa bouche et, sans sourciller, creva l’abcès. Sous l’effet de la douleur, l’enfant sombra dans l’inconscience.
    — Tu crois qu’il s’en sortira ? balbutia Henry.
    — Je n’en suis pas certaine, soupira-t-elle, sa détermination retombée.
    — Ne parle pas ainsi, Emma. Tu as toujours dit que JC était notre cadeau du ciel parce qu’il est venu au monde quand on ne l’attendait plus, quand on croyait que tu ne pouvais plus avoir d’enfants. Dieu ne nous le reprendra pas…
    « Un cadeau du ciel »… Henry hocha la tête. Il avait, oui, une grande affection pour son petit dernier, malgré les tracas qu’il leur causait sans cesse : il avait la santé fragile, souffrait de bronchites et de pneumonies, était sujet à des tumeurs, des abcès, des ganglions. Mais il avait du culot, et cela lui plaisait : un jour, le fils du propriétaire, âgé de douze ans, l’avait insulté. JC s’était battu pour défendre son
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