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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36
Autoren: Alexandre Najjar
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Prologue
    Chicago-Berlin-Beyrouth
    Sans Jesse Owens, je n’aurais jamais visité l’Amérique. Depuis des années, un ami libanais établi à Boston m’invitait à passer quelques jours chez lui, mais je ne me décidais pas, paralysé par mon mépris pour la politique américaine de George W. Bush, trop arrogante à mon goût. Le jour vint enfin où, pris de passion pour Jesse Owens, je résolus de franchir le pas. Car ce personnage représentait à mes yeux l’Amérique telle que je l’aimais : audacieuse, volontaire, libre. Pour moi, Jesse Owens n’était pas seulement l’athlète accompli qui avait brillé aux jeux Olympiques de Berlin, c’était aussi l’homme qui avait surmonté la ségrégation qui minait son pays et ridiculisé les théories de la suprématie aryenne prônées par les nazis. Au Liban, j’avais, comme lui, connu les « apartheids » et la résistance aux « ténèbres organisées » : je ne pouvais rester insensible à son combat contre le racisme et la haine.
    A bord de l’avion d’Air France qui s’apprête à se poser sur le tarmac de l’aéroport O’Hare, je colle mon nez contre le hublot : Chicago a l’air d’une ville méditerranéenne, avec ses plages de sable et sa corniche en bordure du lac Michigan… Fausse impression : la « Windy city » reste la plus américaine des villes des Etats-Unis. C’est la cité du jazz et du blues, celle d’Al Capone et de la Prohibition, des gratte-ciel et des maisons de style victorien, d’Abraham Lincoln et d’Ernest Hemingway, celle de Walt Disney et d’Oprah Winfrey, des Chicago Bulls et des Chicago Cubs, celle des quartiers chics – le Loop – et des banlieues populaires – Bonzeville –, celle, enfin, de Barack Obama, le sénateur de l’Illinois devenu le premier président noir des Etats-Unis.
    Je foule le sol de l’Amérique. « We shall never forget » proclame une affiche placardée dans le hall d’arrivée. Hantise du 11 Septembre. Les démons rôdent toujours : les passagers sont sommés de se déchausser, d’ôter leurs ceintures et de vider leurs poches. Spectacle dégradant : les fouilles au corps ont remplacé la quarantaine. Au poste de contrôle, un officier vérifie mon passeport. Le mot « Beyrouth » le fait sursauter. Il me dévisage attentivement, me photographie de face et de profil, prend mes empreintes digitales et me soumet à un interrogatoire :
    — Que venez-vous faire aux Etats-Unis ?
    J’hésite. Dois-je lui parler de mon projet ?
    — Je fais des recherches sur Jesse Owens.
    Il lève les sourcils, étonné.
    — Jesse Owens ? Qui est Jesse Owens ?
    La question me surprend d’autant plus que mon interlocuteur est métis. Comment peut-il ignorer l’existence du champion noir ?
    — Un grand athlète américain, lui dis-je.
    — Combien de médailles d’or a-t-il gagné aux jeux Olympiques ?
    — Quatre.
    — Où ça ?
    — A Berlin.
    — Quand ?
    — En 1936.
    L’officier sourit.
    —  Welcome to Chicago ! s’exclame-t-il en tamponnant mon passeport.
    Je franchis le portique avec la satisfaction d’avoir réussi mon examen de passage aux Etats-Unis.
    Dans le taxi, conduit par un Afghan qui m’affirme n’avoir jamais été inquiété à cause de ses origines, je songe au double visage de l’Amérique : puissante et fragile, ouverte et méfiante, libérale et impitoyable, adulée par la moitié de la planète et détestée par l’autre moitié qui n’en continue pas moins à écouter les chansons d’Elvis ou de Madonna, à suivre les séries américaines à la télévision, à boire du Coca-Cola ou à fumer des Marlboro.
    Après une courte pause au Congress Hotel, situé non loin d’un parc où trône une statue d’Abraham Lincoln, face à deux monuments étranges représentant des Apaches à cheval, l’un faisant mine de lancer un javelot imaginaire, l’autre bandant un arc inexistant, j’emprunte, pour aller à mon rendez-vous, un taxi piloté cette fois par un Pakistanais portant la tenue traditionnelle de son pays. « Ne croyez pas les politiciens, me confie-t-il. Tout est truqué ! » Je secoue la tête. Leonard Cohen n’aurait sans doute pas désavoué ce conseil : « Everybody knows that the dices are loaded… »
    Arrivé à destination, je prends l’ascenseur menant au 19 e  étage. Jamais je n’étais monté aussi haut, sauf peut-être en visitant la tour Eiffel. Un septuagénaire en short m’ouvre la porte et
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