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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36
Autoren: Alexandre Najjar
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honneur et était rentré avec une balafre au visage. Un matin, il s’était aventuré tout seul dans les champs et avait été pris dans un piège à lapins. Un autre jour, il avait mis du savon à la place des oignons dans le ragoût du dimanche : la marmite s’était remplie de bulles et la maison de rires. « Pourvu qu’il s’en sorte, songea Henry en se tordant les doigts. S’il partait, sa mère ne s’en remettrait jamais… »
     
    James Cleveland ne se réveilla que le lendemain matin. Il essaya de parler, mais n’émit aucun son. Il toussa. Du sang s’épancha de sa bouche. Henry foudroya Emma du regard : elle avait introduit le couteau trop profondément et avait blessé les parois de la gorge. Mais comment lui en vouloir ? Si elle n’avait rien fait, JC n’aurait plus été de ce monde.
    — Les enfants, s’écria-t-elle, apportez-moi tous les torchons et les vêtements que vous trouverez dans la maison ! Il faut stopper l’hémorragie !
    Toute la nuit, Emma tenta d’arrêter le sang qui s’écoulait de la bouche de JC. Le calvaire dura trois jours. Trois jours durant lesquels Henry renonça à aller au travail pour prier. Le soir du troisième jour, le petit JC se redressa sur sa paillasse et, profitant du sommeil de sa mère, se glissa dans le jardin. Henry était là, recueilli.
    — JC ! Que fais-tu ici ? Rentre vite, tu es encore souffrant !
    — Je veux prier avec toi, chuchota l’enfant. Qu’est-ce que je dois dire ?
    — Dis au Seigneur qu’il est trop tôt pour que tu t’en ailles…
    JC s’agenouilla près de son père et joignit les mains. Pendant un quart d’heure, ils prièrent ainsi, côte à côte, dans l’obscurité. Quand JC eut fini, Henry le prit dans ses bras pour le ramener à la maison.
    —  Daddy  ! murmura l’enfant.
    — Oui ?
    — Je ne saigne plus, Daddy  !
    — Qu’est-ce que tu racontes ? fit le père, incrédule.
    — Je ne saigne plus, Daddy , je ne saigne plus. Le Seigneur nous a écoutés !
    1 - Prononcer : «  Ji-Ci  ».

2
    Où la famille Owens
 prend une décision courageuse
    — Nous devons quitter Oakville, décréta Emma.
    Henry leva les yeux au ciel.
    — Partir pour aller où ?
    Assis à l’écart dans un coin tranquille de la plantation, ils discutaient. De retour de la messe, au lieu de rentrer directement à la maison, ils avaient fait un long détour pour gagner cet endroit qui leur rappelait de bons souvenirs. C’est là qu’ils aimaient se retrouver, à l’abri des regards indiscrets, loin de leur demeure où aucune intimité n’était possible, là aussi qu’ils avaient coutume de s’embrasser. Fougueux au début de leur mariage, leurs baisers étaient devenus, avec le temps, de plus en plus tendres, la passion cédant la place à la complicité. Bien qu’ils fussent très différents – Henry, grand, robuste, peu disert ; Emma, petite, menue, volubile –, ils s’entendaient à merveille : point d’éclats de voix ni de coups, à la différence des cases voisines où les disputes conjugales dégénéraient souvent.
    — Il n’y a pas d’avenir ici, poursuivit-elle. Les enfants passent leur temps à t’aider aux champs. Ils ne savent ni lire ni écrire. Veux-tu qu’ils signent comme toi, en mettant une croix ?
    — Il n’y a pas de sot métier, Emma. Je n’ai pas honte de ce que je suis…
    — Je ne me moque pas, Henry. Tu sais très bien que tu seras toujours ma fierté. Ce que tu endures, personne ne l’a jamais enduré. C’est à toi aussi que je pense en te demandant de plier bagage. Tu vas te tuer à la tâche, comme ton père.
    Henry émit un long soupir et se prit la tête entre les mains. Emma disait vrai : la misère était telle que les enfants vivaient déguenillés. Les garçons se cachaient quand une fille passait devant la maison, de peur qu’elle ne les vît si mal fagotés. La viande était rare, tellement rare qu’il fallait attendre Noël pour qu’on la servît à table. N’était-il pas égoïste de condamner les petits à un destin pareil au sien, sans leur donner la possibilité de s’en sortir ? James Cleveland, par exemple, rêvait d’aller au collège. Ne fallait-il pas lui accorder cette chance ?
    — Les temps sont durs, Emma. Cannon m’a sommé de lui payer son dû ou de lui céder le mulet pour éponger mes dettes.
    — Le mulet ? Mais nous ne possédons rien d’autre ! protesta-t-elle, outrée.
    — Je suis bien obligé, fit-il en
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