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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36
Autoren: Alexandre Najjar
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laboratoire.
    Je passe ma première soirée au Quasimodo, un club de jazz à l’angle de la Kantstrasse, dont l’enseigne représente un trompettiste coiffé d’un chapeau mou. Est-ce ici que se produisait autrefois Oskar Widmer ? Je n’en suis pas certain, mais l’ambiance doit être la même. Je commande une bière et assiste à un concert organisé par le Jazz Institute of Berlin dans le cadre du festival « Black History Month in Berlin ». La voix de Jocelyn B. Smith me transporte.
    Le lendemain, je me rends en pèlerinage à l’Olympiastadion, rénové à l’occasion de la Coupe du monde de football 2006. « 100 m LAUF OWENS USA ». Sur une stèle, gravé dans la pierre, le nom de Jesse Owens – qui a été donné à une rue, située près du stade. Je ferme les yeux et me représente Adolf Hitler ouvrant les Jeux de Berlin et les cent mille spectateurs qui acclament leur Führer. Je ne peux m’empêcher de songer à tous ces partis totalitaires ou extrémistes qui, de nos jours encore, à l’image des nazis, terrorisent leurs opposants, brident les libertés et manipulent les foules pour réaliser leurs sombres desseins. Je m’imagine Jesse Owens prenant le départ du 100 mètres. Pour démontrer au monde entier, en 10 secondes 3/10, qu’un Noir vaut bien un Blanc et peut le dépasser. Soixante-douze ans avant un certain Barack Obama.

Première partie
    Panem et circenses
    (Du pain et des jeux)
    La participation à l’olympiade de la croix gammée signifie l’approbation silencieuse de tout ce que symbolise cette croix gammée.
    Jeremiah T. M AHONEY
    The New York Times
21 octobre 1935.
    Les Américains vont remporter la plupart des compétitions, et les Noirs vont être leurs vedettes. Etre obligé de voir ça ne me réjouit pas du tout.
    Adolf H ITLER
    (à Leni Riefenstahl,
le 25 décembre 1935).

1
    Où l’on voit la famille Owens survivre à Oakville
    Toute la nuit, il avait plu sur Oakville. Henry Owens se leva de bonne heure et, sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller sa femme Emma et leurs dix enfants endormis pêle-mêle sur des paillasses, sortit prendre l’air. Le silence avait succédé à la tempête. Pas un murmure, à l’exception du bruissement des arbres alentour. Il s’agenouilla et, sous un ciel pâle, se mit à faire sa prière du matin. Les mains jointes et la tête baissée, il récita le Lord’s Prayer en insistant sur la phrase : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien », puis il se signa, se releva et, les poings sur les hanches, scruta l’horizon. Au loin, à perte de vue, s’étendait le territoire des Cherokees. Vivaient-ils encore dans des réserves ? Avaient-ils totalement disparu ? Certains soirs, il croyait entendre, portés par le vent, des tam-tam et des chants guerriers. Sans connaître les Cherokees, Henry les admirait. Car Indiens et Noirs étaient frères, pareillement privés de leurs droits, citoyens de seconde zone obligés de vivre dans la précarité et l’humiliation. En ville, à Birmingham, les ouvriers noirs étaient exploités, souffraient de discriminations inacceptables. Dans les transports publics, les Negros devaient emprunter des compartiments réservés aux gens de couleur et, dans les toilettes publiques, utiliser des urinoirs et des lavabos différents de ceux des Blancs. On lui avait rapporté des scènes intolérables : le lynchage par le Ku Klux Klan d’un jeune Noir accusé d’avoir regardé une Blanche ; le passage à tabac d’un vieillard qui, à bord du train qui le ramenait chez lui, s’était malencontreusement aventuré dans un wagon de Blancs. Henry Owens secoua la tête – son geste exprimait moins la colère que l’impuissance –, puis gagna ce qu’il appelait « la salle de bains », un espace en plein air pourvu d’une bassine et d’un petit miroir. Il commença à se raser à l’aide d’une lame émoussée, en songeant au meilleur moyen d’améliorer sa condition. Il n’était pas dépourvu d’ambition, non, mais les circonstances ne l’avaient pas gâté. Petit-fils et fils d’esclaves, il n’avait hérité, au décès de son père, que d’un mulet et de quelques vêtements qu’il portait encore. Très tôt, il était entré au service d’un cultivateur de coton nommé Cannon qui lui louait les outils nécessaires à la cueillette – une serpe et une hotte – et une maison – si l’on pouvait appeler ainsi la case où il était hébergé. Coiffée d’un
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